L’art de tirer la couverture à soi

Simone Biles faisait la une de l’édition US de Vogue Magazine. Photographiée par Annie Leibowitz, la gymnaste américaine apparaît hiératique et sculpturale, sur fond de feuille d’or, pour illustrer sa mise à l’honneur dans un article célébrant la femme et la championne exceptionnelle qu’elle est, en route peut-être pour un quatrième titre olympique l’an prochain.

L’hommage du magazine de référence à une gloire nationale, femme et noire, victime d’agressions sexuelles de la part du médecin de l’équipe nationale féminine de gymnastique artistique réunissait, a priori, tous les ingrédients pour obtenir un large plébiscite. C’était toutefois compter sans l’appétit insatiable de revendications des néo-progressistes : sur les réseaux sociaux et dans une certaine presse, ils ont en effet estimé que les clichés étaient “ternes”“fades”, que le sujet n’était pas mis en valeur comme l’étaient habituellement les personnalités représentées en couverture. Kombini Arts a complaisamment relayé les critiques.

Bref, à défaut de pouvoir déplorer qu’on ne trouve pas assez de Noirs en couverture du magazine ou bien qu’il y en a assez de ces photographes masculins qui instrumentalisent le corps des femmes, les Calimero du jour soutiennent désormais que, même en étant une femme s’appelant Annie Leibowitz, l’auteur des clichés est irrémédiablement trop blanche pour saisir et restituer correctement les nuances de la peau noire.

Et Kombini de décréter, de sa plus belle écriture inclusive, “L’urgence d’engager des photographes noir·e·s” :

La façon dont a été immortalisée Simone Biles a fait couler beaucoup d’encre parce qu’elle rappelle la demande de nombreux·ses internautes d’engager davantage de personnes noires dans les équipes rédactionnelles, artistiques et créatives des publications — qui auraient pu, selon certain·e·s, discuter ces choix photo. Sur les réseaux sociaux, des internautes et photographes militant·e·s ont pointé du doigt le fait qu’une peau foncée ne nécessiterait pas le même éclairage qu’une peau claire, pas la même technique, ni les mêmes retouches.

Lise Lanot, Kombini.

Lise Lanot, auteur de ce petit bijou caliméresque publié le 15 juillet, ne tarde pas ensuite, toujours en citant “des” internautes, “des” photographes, à débouler sur le terrain de la sous-représentation des Noirs à la rédaction de Vogue, malgré les promesses arrachées à Anna Wintour et, sur un ton presque accusatoire, à placer cette dernière devant ses contradictions. Il faut dire que la terreur du tout-New York s’est muée en carpette lorsque la campagne de name and shame ont menacé son florissant business (source) :

Nous avons fait des erreurs, en publiant des images et des reportages blessants ou faisant preuve d’intolérance. Je prends la pleine responsabilité de ces fautes. Ce ne doit pas être facile d’être un employé noir chez ‘Vogue’, et vous êtes trop peu nombreux. Je sais que ce n’est pas suffisant de dire qu’on fera mieux, mais nous le ferons — et s’il vous plaît, sachez que j’estime vos voix et vos retours dans cette évolution. J’écoute et j’aimerais connaître vos opinions et vos conseils si vous voulez les partagez.

Dans son élan, la même rédactrice récidive le lendemain avec un article consacré cette fois, après Vogue, à Vanity Fair. Le magazine, comme s’il répondait à Vogue dans la course au politiquement correct, célèbre Viola Davis, remarquable actrice et première Noire à obtenir un Oscar, un Tony Award et un Amy Award.

Pourtant proche de la couverture de Vogue, — l’identité de style entre les deux est même saisissante, — celle de Vanity Fair est au contraire présentée sous un jour laudateur. Qu’importe, cette fois, qu’il soit tout aussi “terne” et “fade” : ce qu’il faut retenir est que le cliché a été pris par le talentueux Dario Calmese. Signe particulier : il est noir et il est même le premier Noir auteur de la photographie de couverture de Vanity Fair.

Sur cette image, Viola Davis, dont on connaît les origines, prend la pose de cet esclave noir présentant les stigmates des coups de fouet reçus, au creux sombre du XIXe siècle, pour avoir tenté de s’enfuir de la plantation où il était exploité, dont l’image est devenue iconique dans la (mauvaise) conscience américaine. Pour Dario Calmese, l’intention sous-jacente est de se débarrasser du “regard blanc sur la souffrance noire”, pour parvenir à “un regard noir empli de grâce, d’élégance et de beauté”.

La rédactrice de Konbini, plutôt que de creuser l’analyse de cette intéressante démarche, préfère revenir à sa petite comptabilité, jusqu’à relayer cette énormité :

Pire que de n’avoir jamais fait appel à un·e artiste noir·e, le magazine ne s’en était pas rendu compte, rapporte le New York Times : “Il y a encore deux semaines, Dario Calmese ne savait pas qu’il était le premier photographe noir à shooter la une de Vanity Fair, mais il avait un doute, donc il a demandé à la rédaction, qui a fait ses recherches”.

Lise Lanot, Kombini.

Vanity Fair ne pratiquait donc pas, depuis 37 ans, de discrimination délibérée ; pire, le magazine le faisait de manière inconsciente ! C’est, du moins, la thèse défendue par Lise Lanot, qui achève son papier (et le lecteur par la même occasion) par cette conclusion d’une rare profondeur : “Nul doute que cette couverture est également une forme de protestation et d’évolution de l’égalité des voix et des représentations.”

Dans ce triste monde, tout devient affaire de droits, de places, de dédommagements, de représentation. Qu’importe les formidables destins de Simone Biles (née dans l’Ohio, mère droguée, élevée par ses grands-parents) de Viola Davis (née en Caroline-du-Sud dans une famille nombreuse et pauvre) et ce qu’il disent, malgré ellesde l’Amérique : seule compte ici la créance inextinguible héritée de l’histoire collective. Mais comment progresserait un peuple qui ne saurait plus que brasser les remugles de son passé ? qui ne saurait employer son temps qu’à instruire, chaque jour, le procès d’une “classe dominante” qui pourtant, aujourd’hui, n’a plus grand-chose à voir avec les grandes familles WASP qui prospérèrent, des décennies durant, sur des dos noirs.

Jamais les dominations du présent ne se perpétueraient si les idiots utiles à la mode ne focalisaient le regard des masses sur celles du passé.

Reléguée, paupérisée, l’ancienne classe moyenne blanche partage désormais pleinement le sort de la classe populaire noire mais la conscience de cette réalité serait explosive. Jamais le “petit Blanc” ne voterait Trump si l’Amérique contemporaine n’était dépeinte, chaque jour, qu’au travers du prisme racial. Jamais un magazine de luxe n’apparaîtrait “progressiste” s’il n’y avait le prétexte de la promotion des minorités pour couvrir celle des produits L’Oréal, Nuxe, Adidas et Dolce & Gabana, dont on sait les conditions de production, les marges et le coût environnemental. En résumé : jamais les dominations du présent ne se perpétueraient si les idiots utiles à la mode ne focalisaient le regard des masses sur celles du passé.

Vous me direz que l’exercice de la profession de journaliste est difficile de nos jours et qu’il faut bien vivre, mais voilà, Lise Lanot, de quoi vous vous rendez complice.

Post-scriptum

L’usine à clics nommée Konbini, fondée par David Creuzot et Lucie Beudet, deux entrepreneurs issus de la communication et de la publicité, est principalement détenue, selon La Lettre A, par la famille Perrodo — des Bretons qui doivent leur fortune au pétrole — “cachée derrière des sociétés opaques immatriculées au Luxembourg et aux Bahamas”. Le site a la réputation d’avoir recours aux contenus sponsorisés selon des méthode parfois modérément éthique.

Auteur : Gabriel des Moëres

Vieux gaulliste, républicain exigeant, humaniste et conservateur.

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