Philippe d’Iribarne à propos de la « folie woke »

Philippe d’Iribarne, sociologue, X-Mines, directeur de recherche au CNRS, analyse les racines du mouvement woke et décolonial, né dans les universités américaines et alimenté par l’utopie égalitaire forgée en Occident.

« Cette mise en avant de l’infinie culpabilité des Blancs alimente une représentation totale de la vie sociale portée par tout un vocabulaire : privilège blanc, racisme systémique, appropriation culturelle, etc. Ainsi, si certains ‘racisés’ ont du mal à trouver un emploi, il est impensable d’envisager que les employeurs cherchent simplement à embaucher ceux dont le profil laisse augurer qu’ils sont les plus à même de contribuer à la bonne marche de leur entreprise. Il va de soi que la prospérité économique de l’Occident est fondée sur l’exploitation du travail des esclaves noirs et il est indécent de l’attribuer au génie inventif et à la capacité d’organisation dont l’Occident a fait preuve. Si les figures de l’art, de la pensée et de la science célébrées dans le monde occidental, et bien au-delà, tels Kant, Pascal, Rembrandt, Bach, Shakespeare, Dante, Dostoïevski, Cervantès ou Einstein, sont essentiellement blanches, c’est l’effet d’un complot des Blancs conduit à dissimuler les figures non blanches. Etc. 

Entre croyants (ceux qui sont engagés dans le mouvement woke, les tenants d’une approche décoloniale) et incroyants il n’existe pas de terrain commun au sein duquel échanger des arguments. Pour les incroyants, ce mouvement est sans doute explicable par la souffrance de ceux qui se sentent victimes d’une promesse trahie mais n’est pas intellectuellement respectable. Il est absurde de regarder comme monstrueuses certaines actions si elles sont le fait de Blancs et comme vertueuses si elles sont le fait de non-Blancs ; par exemple de déclarer la colonisation blanche crime contre l’humanité et de porter au pinacle la colonisation arabe, notamment en Espagne ; ou encore de dénoncer une ‘appropriation culturelle’ quand des Blancs se permettent d’interpréter une musique ‘noire’ mais de parler de manque de diversité à fondement raciste quand les Blancs dominent au sein des orchestres symphoniques voués à une musique ‘blanche’. Il échappe à toute logique de considérer comme monstrueux l’esclavage perpétré par les Blancs alors que, perpétré par des Arabes ou des Noirs il ne mérite aucune attention. […] 

Par ailleurs, la place que tient la ‘cancel culture’, la création de ‘safe spaces’ où les croyants sont mis à l’abri de pans entiers de la réalité, apparaît aux incroyants comme liées au besoin de ces derniers d’être protégés de ce qui pourrait faire éclater la bulle de certitudes qu’ils habitent. Mais, pour les croyants, tout cela n’est qu’arguties qui ne tiennent pas face au scandale que représente la radicalité du privilège blanc qui, avec sa dimension raciste, viole les principes les plus sacrés qui doivent inspirer la vie de l’humanité. Ces arguties se trouvent disqualifiées par le fait qu’elles légitiment le maintien d’un tel privilège et il est hors de question de leur accorder quelque valeur que ce soit. Ceux qui en font usage ne méritent pas d’être écoutés et les interdire de parole, comme l’implique la ‘cancel culture’, relève de l’objectif vertueux d’empêcher de nuire des représentants du mal. Leur donner la parole, débattre avec eux, reviendrait à accorder au mal un statut égal à celui du bien. »


Philippe d’Iribarne, « La folie woke et décoloniale, fille de l’utopie de l’égalité parfaite forgée par l’Occident », Le Figaro, 29 mars 2021.

Auteur : Gabriel des Moëres

Vieux gaulliste, républicain exigeant, humaniste et conservateur.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s