Pour célébrer le deuxième anniversaire de son élection à la tête de Chicago, la démocrate Lori Lightfoot a décidé d’organiser une séance d’interview réservée aux journalistes appartenant aux minorités raciales. Une décision qui ne fait pas l’unanimité.
Le journaliste du Chicago Tribune Gregory Pratt, qui se définit comme latino, a vu sa demande d’entretien acceptée mais a tweeté le 19 mai :« Cependant, j’ai demandé au bureau du maire de lever sa condition sur les autres et quand ils ont dit non, nous avons respectueusement annulé. Les politiciens ne peuvent pas choisir qui les couvre. »
En réponse, la maire a justifié sa mesure de discrimination par la surreprésentation des blancs dans le milieu journalistique local et la nécessité de faire progresser la diversité « dans une ville ou plus de la moitié de la population s’identifie comme noire, latino, AAPI (asiatiques et originaires des îles du Pacifique) ou amérindienne ». Seuls 17 % des journalistes sont issus des minorités aux Etats-Unis en 2018, alors que 40 % de la population américaine ne se définit pas comme blanche.
Droit dans ses bottes, Lori Lightfoot enfonce le clou derechef : « Nous devons avoir à coeur de vaire mieux », affiirme-t-elle avant de poursuivre : « Il est temps pour les rédactions de faire mieux et de constituer des équipes qui reflètent la composition de notre ville. »
Lightfoot a mis à profit la politique identitaire dans sa campagne de 2019 à la mairie, se positionnant comme la première femme afro-américaine ouvertement lesbienne à diriger une grande ville américaine et battant son compatriote démocrate afro-américain Toni Preckwinkle lors d’un second tour.
Pour Rachel Khan, qui évoquait cet épisode dans Le Figaro Vox, il est peu probable que cette mesure, prise pour la première fois par un élu aux Etats-Unis depuis l’abolition de la ségrégation raciale, suscite un scandale national. « La repentance, la culpabilisation, la bien-pensance mal placée ont produit des ‘idiots utiles’ extrêmement dangereux », affirme-t-elle. Pourtant, les réactions ont été nombreuses depuis cette prise de position et pas franchement en faveur de l’élue. Comme le rapporte Libération, même l’association nationale des journalistes noirs a salué « la sensibilité » de Lori Lightfoot « au manque de diversité parmi celles et ceux qui couvrent les collectivités locales », mais indiqué dans le même temps qu’elle ne pouvait « pas soutenir cette tactique […] du fait de [son] engagement en faveur de la diversité en général, de l’égalité et de l’inclusion ».
Au sein-même de la majorité démocrate qui entoure la maire de Chicago, le consensus est loin d’être réuni sur cette approche radicale. La crainte de donner des arguments aux suprémacistes blancs pour faire progresser l’idée d’un nouveau régime de ségrégation commence à prendre corps.
Un « coup de com » pour détourner l’attention d’un bilan catastrophique sur la lutte contre la criminalité ?
Plutôt que de prendre des initiatives hors-sol et contre-productives, Lori Lightfoot ferait peut-être mieux de se pencher sur la réalité des oppressions que subit la population défavorisé de la ville, à commencer par la progression fulgurante de la criminalité dans cette ville qui reste la capitale des gangs.

A Chicago, en 2020, les services de médecine légale ont dénombré 875 décès par balle — un record depuis 1994 — et devinez quoi : 78 % des victimes étaient noires. Du côté de la police, les chiffres de 2020 sont encore plus éloquents : le nombre de meurtres (769) a bondi de plus de 50 %.
Les journalistes accrédités ne manqueront sans doute pas de poser à Lori Lightfoot cette question cruciale : les noirs font-ils à ses yeux de meilleures victimes quand ils sont journalistes ou quand ils tombent sous les balles dans « territoires perdus » de sa cité ?