Matthieu Bock-Côté : « Le concept de ‘racisme systémique’ en délire »

Cette inquisition vient d’atteindre son sommet aux États-Unis avec l’université Princeton qui s’en prend au «racisme systémique» en abolissant, dans son département d’études classiques, l’obligation de maîtriser, et même d’étudier, le grec et le latin.

Plus rien ne résiste au concept de « racisme systémique ». Ses promoteurs parviennent à trouver sa trace dans les moindres replis de l’organisation sociale. Toutes les institutions, même les plus improbables, sont appelées à s’y soumettre et à s’en reconnaître coupables, à travers un rituel public où chacun raconte le moment de sa prise de conscience et annonce un grand programme pour s’arracher à sa logique et à la structure sociale dans laquelle il serait encastré.

Ainsi, ces derniers jours, on apprenait que l’Association des diététistes du Canada s’accusait de « racisme systémique » et annonçait vouloir réviser sa pratique professionnelle à la lumière de l’antiracisme révolutionnaire de Ibram X. Kendi. Les recommandations alimentaires des diététistes n’étant pas adaptées aux populations nouvelles s’étant installées au Canada au fil des dernières années, elles seraient donc discriminatoires et systémiquement racistes. Il fallait y penser.

Quelques jours plus tard, Justin Trudeau, le premier ministre canadien, a annoncé un programme de prêts réservé aux entrepreneurs noirs, en faisant ici de la discrimination raciale un principe explicite, revendiqué, sous le signe du progrès et de l’inclusion. Autrement dit, selon la couleur de votre peau, vous aurez plus ou moins de chance de bénéficier des prêts gouvernementaux. C’est seulement ainsi que sera vaincu le « racisme systémique » apparemment inscrit dans la structure même de la fédération canadienne.

On se rappellera aussi qu’en mai, la ville de Hamilton, en Ontario, a décidé, dans la lutte contre le Covid-19, de prioriser la vaccination des populations « racisées », encore une fois, au nom de la lutte contre le « racisme systémique » pour enfin renverser la « suprématie blanche », qui serait le véritable fondement des sociétés occidentales. Ce narratif, comme on dit aujourd’hui, peut s’appliquer à n’importe quelle situation, comme s’il avait une portée universelle.

Mais cette inquisition vient d’atteindre toutefois un sommet aux États-Unis avec la volonté de l’université Princeton de s’en prendre au « racisme systémique » en abolissant, dans son département d’études classiques, l’obligation de maîtriser, et même d’étudier, le grec et le latin. Cette obligation serait discriminatoire. Traduisons : pour ouvrir grandes les portes des études classiques, il faut désormais réduire drastiquement les exigences qui y étaient associées. L’excellence n’est plus qu’un résidu aristocratique à pulvériser, au nom de la démocratisation du savoir, qui justifie tous les massacres. Derrière cette guerre contre les discriminations se cache en fait une guerre contre la culture.

Sans surprise, Princeton justifie cette réforme au nom des événements ayant secoué les États-Unis suite à la mort tragique de George Floyd. Encore une fois, cette dernière est traitée à la manière d’une révélation religieuse, dévoilant l’intime nature d’une civilisation qui devrait désormais se repentir pour renaître, lavée enfin de son péché originel colonial. Ceux qui l’évoquent dans des formules psalmodiées ne sont pas loin de transformer son malheur en sacrifice christique pour qu’enfin s’affaisse le «racisme systémique».

Mais derrière cette guerre contre les discriminations se cache en fait une guerre contre la culture. En dissociant les études classiques des langues anciennes, comme s’il s’agissait de vieilles béquilles ou de colifichets discriminatoires, c’est aux sources mêmes de la civilisation occidentale qu’on s’en prend. C’est ce qu’avait reconnu Dan-el Padilla Peralta, qui enseigne l’histoire antique à Princeton et qui soutenait, il y a quelques mois, dans le New York Times qu’il fallait en finir avec son champ d’études pour en finir avec la « suprématie blanche » — à tout le moins, il fallait l’affranchir pour de bon de la « blanchité ». Autrement, on détruira la civilisation occidentale en détruisant ses fondements, ce qui, techniquement, n’est pas si mal vu. 1492 ne suffit plus : il faut toujours remonter plus loin pour retrouver le péché originel de la civilisation maudite.

Allan Bloom l’avait noté parmi les premiers, ce sont les institutions censées conserver la culture et la garder vivante qui aujourd’hui, l’annihilent et l’empoisonnent. L’héritage qui devait être enrichi y est répudié, presque maudit, déconstruit par des militants qui n’ont comme culture que leur idéologie. C’est une authentique névrose raciale qui s’empare des sociétés occidentales, désormais traversée par le désir de s’anéantir, comme si leur disparition pouvait rédimer l’humanité, et lui permettre d’enfin de se délivrer du mal, associé à la figure luciférienne de l’homme blanc. Si les études classiques doivent y passer et le grec et le latin sacrifiés, c’est pour effacer jusqu’à ses premières traces, pour recouvrir ses origines du mythe d’une grande noirceur, qui le condamnera à jamais.

Source : Le Figaro, 4 juin 2021.

Auteur : Gabriel des Moëres

Vieux gaulliste, républicain exigeant, humaniste et conservateur.

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