« Militantisme à l’université, vous n’avez encore rien vu… »

Pour l’universitaire canadien Mathieu Bock-Côté, dans cette tribune signée dans Le Point, le politiquement correct colonise l’université pour transformer la production du savoir officiel.

Une manière fréquente de se rassurer devant le délire universitaire consiste à se dire qu’il passera ou à se faire croire qu’il est cantonné dans quelques départements excentriques, qui font l’actualité seulement parce que de vilains polémistes vont y fourrer leur nez pour en ressortir avec des objets d’indignation. Il ne faudrait pas exagérer, encore moins se faire des peurs. Mais on a tort de se rassurer à si peu de frais. Car ce délire ne passera pas, d’autant qu’il n’est plus cantonné aux marges universitaires. Le wokisme, qu’on définira comme une hypersensibilité revendiquée aux revendications des minorités allant jusqu’à la névrose, est désormais hégémonique.

Il remonte aux années 1980, au temps de l’émergence du politiquement correct, qui a d’abord pris la forme d’un procès des Dead White European Male dans la construction du canon universitaire représentant l’idéal de la culture générale. Comment le désoccidentaliser ? D’abord présent dans les départements de littérature, le politiquement correct en est venu à coloniser l’université dans son ensemble et à transformer la production du savoir officiel, par la multiplication des studies, censés accomplir une révolution épistémologique, en reconstruisant l’univers de la connaissance à partir du point de vue des victimes de l’Occident.

Décoloniser la lumière

Au fil des décennies, cette perspective s’est normalisée dans les sciences sociales, et pénètre maintenant les sciences de la nature. Comment décoloniser la lumière ? Comment affranchir les mathématiques de la suprématie blanche ? Comment abolir une fois pour toutes le masculin et le féminin au nom de la fluidité identitaire ? On se pose désormais de telles questions et bien d’autres dans une université qui confond délire idéologique et créativité théorique. C’est à condition d’embrasser l’idéologie diversitaire qu’il est aujourd’hui possible de faire carrière. Le professeur à l’ancienne passe désormais pour une relique réactionnaire.

Surtout, cette idéologie s’est enkystée dans l’administration universitaire qui impose au corps enseignant de nombreux ateliers de rééducation idéologique. L’approche Équité, diversité et inclusion, qui annonce la mutation gestionnaire et managériale du wokisme, justifie ainsi la transformation de l’université en camp d’endoctrinement. L’enseignement doit prêcher les préceptes idéologiques officiels. Les embauches, de plus en plus, se font selon le principe du quota victimaire : il est souvent précisé, en Amérique du Nord, que tel poste ou telle chaire de recherche seront réservés à une personne associée aux minorités reconnues par le régime.

Psychologie de gardes rouges

La lyssenkisation de l’université se poursuivra. Les professeurs seront surveillés toujours plus par des étudiants à la psychologie de gardes rouges traquant dans un plan de cours ou un livre à lire le mot qui choque, qui offusque, qui réactive un trauma ! Chaque département cherchera à trouver dans les moindres replis de sa tradition intellectuelle le racisme systémique. La névrose anti-occidentale continuera de se présenter comme un principe méthodologique, comme on l’a vu à Princeton, où certains professeurs dans le domaine des humanités classiques ne sont pas loin de maudire leur propre matière.

L’avenir du savoir se trouve-t-il dans un retour au séminaire clandestin à la Roger Scruton ? À moins que dans la jeune génération, certains ne commencent à se déwoker ? On raconte que les meilleurs éléments sortent du wokisme comme on sortait autrefois du communisme, comme on sort d’une secte. La dissidence, aujourd’hui, consiste, par exemple, à refuser d’utiliser l’écriture inclusive ou à refuser de préciser ses pronoms dans la vie courante. Ou à rire cruellement dans un cours où on enseigne sérieusement la philosophie de Judith Butler et la théorie du genre. Ou à bâiller dans une conférence sur l’hétéropatriarcat. Il suffit quelquefois d’un seul courageux pour dérégler un système fou. J’en ai rencontré quelques-uns. Je veux croire qu’il y en a d’autres.

Source : « Militantisme à l’université, vous n’avez encore rien vu… », Le Point, 20 juin 2021.
L’auteur : Mathieu Bock-Côté est un sociologue canadien. Il a publié récemment La Révolution racialiste, et autres virus idéologiques (La Cité).

La Révolution racialiste

et autres virus idéologiques

Mathieu Bock-Côté

Ed. La Cité, 2021

« On ne saurait segmenter une société sur une base raciale sans condamner chaque groupe à s’enfermer dans sa couleur de peau, qui devient dès lors l’ultime frontière au cœur de la vie sociale. »
La vision racialiste, qui pervertit l’idée même d’intégration et terrorise par ses exigences les médias et les acteurs de la vie intellectuelle, sociale et politique, s’est échappée de l’université américaine il y a vingt ans. Et la voilà qui se répand au Canada, au Québec et maintenant en France. Elle déboulonne des statues, pulvérisant la notion même d’histoire, elle interdit de parler d’un sujet si vous n’êtes pas héritier d’une culture, et vous somme de vous excuser « d’être blanc », signe de culpabilité pour l’éternité. Le racialisme sépare et exclut, n’apporte pas de libertés quoi qu’en disent ses hérauts, et, plus dangereux, modélise une manière de penser le monde. Mathieu Bock-Côté est sociologue, et chroniqueur pour la presse québécoise et française. Ses travaux portent sur le régime diversitaire, le multiculturalisme et les mutations de la démocratie. Seul lui pouvait signer un essai aussi éloquent, percutant. Sidérant même.

Auteur : Gabriel des Moëres

Vieux gaulliste, républicain exigeant, humaniste et conservateur.

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