Cheminot, syndicaliste chez Sud Rail, marxiste, soutenu par l’extrême-gauche décoloniale, Anasse Kazib a entamé la pêche aux parrainages pour se présenter à l’élection présidentielle.
Découvert en 2018 pendant la grève de la SNCF contre l’ouverture à la concurrence, entendu quelques fois dans l’émission Les Grandes gueules sur RMC, soutien aux Gilets jaunes, Anasse Kazib a été de toutes les luttes ouvrières et pour la défense du service public. Le 4 avril dernier, il a annoncé sa « précandidature » à l’élection présidentielle au cours d’un conseil politique du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), dont il est membre en se revendiquant de son aile gauche — en rupture avec la ligne Besancenot, critiquée pour ses mauvais résultats électoraux, imputés à des stratégies d’alliances inappropriées. Pendant qu’il rallie des militants autour de Révolution permanente, le site auquel il contribue régulièrement, le parti adoube Philippe Poutou.
On ne s’attardera pas sur ses propositions typiques du marxisme révolutionnaire, consultables sur le site Anasse2022.fr, pour nous intéresser davantage à ses soutiens. Une tribune appelant à le soutenir, publiée sur le blog Revolutionpermanente.fr, mentionne parmi les signataire plusieurs figures de la « mouvance décoloniale », dont Assa Traoré et Youcef Brakni, du comité Vérité et Justice pour Adama, ou encore Taha Bouhafs, journaliste militant. Sachant que, dans ces marges du paysage politique, l’articulation entre lutte des races et luttes des classes ne s’opère pas toujours sans conflit, un tel attelage interpelle.
D’ailleurs, Anasse Kazib n’avait pas caché, en juin 2020, son désaccord avec la notion de « privilège blanc », central dans la pensée décoloniale. « C’est vraiment du charlatanisme, qui empêche toute lutte contre la classe dominante. Et qui quand tu réfléchis bien ne veut rien dire », avait-il écrit sur Twitter.
Pourtant, il y a quelques jours, il s’est attaqué à l’essayiste Rachel Khan, auteur de Racée, ouvrage défendant un antiracisme universaliste, en l’accusant d’être un faire-valoir, à l’instar de tous ceux qui s’en prennent à la syndicaliste policière Linda Kebbab, insultée par Taha Bouhafs, à la journaliste Christine Kelly, à Fatiha Agag-Boudjahlat et d’autres. « Si vous recevez des prix pour votre livre bidon de la part de Caroline Fourest ou qu’on vous invite sur les plateaux TV, c’est parce que vous êtes une femme racisée qui critique les noirs et les Arabes de ce pays », déclare-t-il.
Se gardant d’employer les expressions qui fâchent (« nègre de maison », « arabe de service »), il ne reprend pas moins les logiques de réification et d’essentialisation utilisées par les décoloniaux, en vertu de laquelle une personne d’origine maghrébine ou africaine assimilée au « système dominant » ne pourrait être autre chose qu’un alibi au service de ce système. En cela, il défend implicitement l’idée que le bon Arabe et le bon Noir ne peuvent se définir autrement que comme « racisés » et porte-parole de la communauté à laquelle d’autres qu’eux les ont assignés.
Il faudra suivre la candidature d’Anasse Kazib : l’audience qu’il va recueillir au sein de l’extrême-gauche, les débats que ses influences décoloniales vont soulever, seront riches d’enseignements sur la capacité de l’extrême-gauche à résoudre la tension entre le projet révolutionnaire marxiste « historique » et une approche intersectionnelle qui suppose une articulation des luttes beaucoup plus complexe… et potentiellement explosive.