Les militants hawaïens se sentent spoliés par les surfeurs blancs, rapporte l’agence Associated Press dans un article que n’a pas hésité à moquer l’humoriste et présentateur américain Bill Maher.
Le surf a fait, cette année, son entrée dans le club prestigieux des disciplines olympiques. Dans un article paru le 13 juillet, l’agence Associated Press relate les réactions d’Hawaïens qui, loin d’être flattés par cette reconnaissance d’un sport dont ils ont été les inspirateurs, crient à l’appropriation culturelle. Selon eux, la création d’une épreuve olympique de surf n’est que l’« extension des indignités raciales gravées dans l’histoire du jeu et de leur patrie ». Prenant le point de vue des interviewés, l’article relève que l’évolution du surf serait aujourd’hui « façonnée par des perspectives blanches » et largement gouvernée par des blancs. Les Hawaïens se sentent spoliés de leur identité et des profits qu’ils pourraient capter. À cela s’ajoute la frustration de ne pouvoir concourir pour leur propre compte, le Comité olympique réservant ce droit aux « Etats indépendants reconnus par la communauté internationale » — ce qui n’est pas le cas d’Hawaï, qui est un État fédéré des États-Unis.
Ironie de l’humoriste Bill Maher
Cette complainte n’est pas passée inaperçue du présentateur et humoriste américain Bill Maher, pourtant réputé progressiste, qui s’en est copieusement moqué durant son émission. « De toutes les violations du code pénal ‘woke’, l’appropriation culturelle est sans doute la plus bête de toutes », attaque-t-il. « Il y a 25 000 îles dans le Pacifique. Comment savoir que les Hawaïens étaient les premiers à se tenir debout sur une planche au milieu de l’eau ? », a-t-il observé avec bon sens. « Si vous êtes un surfeur, peu importe que vous soyez blanc, noir ou entre-deux : vous avez le même goût pour les requins. » Il a rappelé que l’objectif des Jeux olympiques était de se rassembler et de partager, sans se quereller pour savoir qui avait inventé telle ou telle pratique.
Une histoire liée à celle de la colonisation
Pour dépasser les polémiques superficielles, nous sommes tout de même allés chercher des informations sur l’histoire du surf. Il semble probable que cette subtile discipline soit apparue dès les XVe ou XVIe siècle, voire bien avant dans plusieurs régions du globe : « On a eu des remontées de cette pratique en Afrique au XVIe siècle, ou en Chine où l’on surfait sur les rivières et les mascarets vers l’an 1000, ou encore en Amérique latine, où surfer était le moyen le plus rapide de revenir vers le rivage », selon Jérémy Lemarié, docteur en sociologie, maître de conférences en STAPS Management à l’Université de Reims-Champagne-Ardenne, auteur de Surf, histoire d’une conquête (Arkhê, 2021). Toutefois, « c’est en Polynésie que les formes les plus avancées de surf ont été observées : se mettre debout sur la planche à cette époque est une exception hawaïenne. » Il relève que c’est à Hawaï que le surf a fait l’objet de joutes sportives et que s’y sont développées les techniques les plus avancées pour trouver la vague parfaite et la dompter.
Découverte à la fin du XVIIIe siècle par les premiers explorateurs des îles du Pacifique, la pratique du surf a fait ensuite l’objet à la fois de fascination et de répulsion de la part des colons britanniques au XIXe. Fascination pour l’aisance dont les Océanies font preuve dans l’eau, dès le plus jeune âge, et répulsion envers des « sauvages » dont la nudité et la liberté heurtent les missionnaires et qu’ils affublent de sobriquets déshumanisants (« amphibiens », « loutres », « canards », « sirènes » pour les femmes…).
Sans être interdite à proprement parler, la pratique du surf est ainsi fortement découragée et d’autant plus menacée que l’importation de maladies par les colons décime la population indigène (réduite des neuf dixièmes en un siècle) et que le développement économique (commerce du bois de santal, de la fourrure et de l’huile de baleine) détourne la population, désormais main-d’œuvre au service de l’Empire, de ses activités récréatives traditionnelles.
C’est là que la pratique du surf, devenue quasiment clandestine, devient une expression à la fois de l’identité des Hawaïens et de résistance au colonialisme, perpétuée grâce à une presse indigène très dynamique et écrite dans la langue locale, mal maîtrisée par les missionnaires. Le surf se perpétue ainsi jusqu’au début du XXe siècle, lorsque le grand nageur Duke Kahanamoku, dit « le Duke », le popularise en tant que sport, depuis Waikiki jusqu’en Californie et en Australie.
« Récupéré » par les blancs, le surf est peu à peu devenu plus élitiste. C’est aujourd’hui un sport « chic » et cher dans les stations balnéaires, sans que cela n’entame la passion des Hawaïens pour leur planche.
Y a-t-il matière à dénonciation ?
Aussi l’histoire est-elle plus complexe que ce qu’en a retenu Bill Maher. Pour autant, si Hawaï peut se revendiquer comme la terre fondatrice du surf et si la discipline s’est chargée, au cours de son histoire, d’une lourde charge symbolique et politique, il est aujourd’hui question d’une activité qui s’est aujourd’hui répandue aux quatre coins du monde, à laquelle il serait difficile d’attacher des droits moraux ou de propriété intellectuelle. Sa technicité et sa popularité font du surf un sport parfaitement légitime aux Jeux olympiques sans que personne, à l’instar de toutes les autres disciplines n’ait à songer à une quelconque appropriation culturelle.
L’escrime est née en Égypte, le basket-ball aux États-Unis, le judo au Japon, l’aviron à Venise… Viendrait-il à quiconque de ces pays l’idée de réclamer des droits particuliers aux fédérations internationales et au Comité international olympique ? Rançon de leur succès, ces sports sont devenus universels et c’est pour cela qu’ils sont présents aux Jeux. Peu importe leur origine… puisque ce sont des Français qui gagnent !
Sources :
. « JO de Tokyo : des militants hawaïens reprochent aux surfeurs blancs de s’être appropriés leur sport », Valeurs actuelles, 4 août 2021.
. Chloé Ripert, « JO 2021. Surf : à Hawaï, avant tout l’histoire d’une arme de résistance anticoloniale », Ouest France, 25 juillet 2021.