Sandrine Rousseau, première candidate woke à l’élection présidentielle ?

Étudiant et auteur de deux notes importantes sur l’idéologie « woke » pour le think tank Fondapol, Pierre Valentin décrypte pour Marianne la pensée politique de Sandrine Rousseau, qui affronte aujourd’hui Yannick Jadot au second tour de la primaire d’Europe Écologie Les Verts. Entretien.

Candidate surprise du second tour de la primaire d’Europe Écologie Les Verts, où elle affrontera le favori Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, dont chacune des sorties est scrutée depuis des semaines sur les réseaux sociaux et dans la presse, provoque l’incompréhension de nombreux commentateurs.

Écoféministe revendiquée, l’enseignante-chercheuse en sciences économiques s’est distinguée par l’intransigeance de ses positions écologiques et sociales, mais surtout sociétales. Si bien que la candidate semble cocher toutes les cases du « wokisme », sensibilité idéologique venue des campus états-uniens qui prétend être sensible à « toutes les oppressions » : sexistes, racistes, LGBTphobes, grossophes, validistes, etc. Marianne a évoqué le sujet avec Pierre Valentin, auteur de deux notes importantes sur cette idéologie pour le think tank Fondapol.

L’Idéologie woke

1. Anatomie du wokisme
2. Face au wokisme

Pierre Valentin

Marianne. — Peut-on dire que le discours de Sandrine Rousseau correspond parfaitement à celui des « wokes » ?

Pierre Valentin. — Commençons par le plus évident. Madame Rousseau s’est déjà réclamée du terme, qui signifie « être éveillé » en anglais, et plus spécialement éveillé aux injustices raciales ou sexuelles que subissent les minorités dans les pays occidentaux. Comme le rapportait récemment Les Échos elle affirme « défendre les injustices, bien sûr que je suis woke ».

Sandrine Rousseau porte également en elle la tentation de ne pas qualifier son adversaire — même quand il est de gauche — mais de le disqualifier en entretenant une relation à la pureté militante très forte. Elle dit : « Yannick Jadot porte une écologie que je respecte mais qui n’est pas la mienne. Moi, je suis une écologiste de gauche, radicale, sociale. » On comprendra que monsieur Jadot n’a plus le privilège d’être réellement de gauche ni spécialement radical. Qu’il se soit désisté en faveur de Benoît Hamon en 2017 n’y changera rien. Dans cette addiction à la radicalité, la subversion, la transgression, toute suspicion de centrisme est rédhibitoire et définitive.

Certains, dans cette logique paradoxale qui sacralise le statut de victime, n’auraient pas le privilège d’avoir une race. Dans un monde qui déifie l’arc-en-ciel, ne pas avoir de couleur, ne pas être « colorful », c’est être fade, poussiéreux, ennuyeux.

Pierre Valentin.

Lorsqu’elle déclare que notre société passe son temps à « prendre, utiliser et jeter le corps des femmes, des plus précaires et des racisés », elle assume ses influences décoloniales et indigénistes. Ce terme de « racisé » mérite qu’on s’y attarde. Certains, dans cette logique paradoxale qui sacralise le statut de victime, n’auraient pas le privilège d’avoir une race. On pourrait voir dans l’expression « people of color » — c’est-à-dire tout le monde sauf les blancs — qui s’est banalisée depuis de longues années maintenant, un précurseur à cette mentalité. Dans un monde qui déifie l’arc-en-ciel, ne pas avoir de couleur, ne pas être « colorful », c’est être fade, poussiéreux, ennuyeux. Gris finalement.

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Sinon, confions le soin aux expertes d’en décider pour nous : Alice Coffin, qui a fait de la misandrie assumée sa marque de fabrique, ne s’y trompe pas et soutient madame Rousseau. Alice Coffin s’avère rafraîchissante de par sa franchise : quand d’autres ont l’hypocrisie de parler de « diversité », elle joue cartes sur table en appelant de ses vœux un effacement de l’homme de la société. Ici, un des subterfuges du wokisme est révélé : Diversité ? Comprenez plutôt « moins de dominants ». Ce soutien n’est pas anodin lorsqu’il s’agit de déterminer le degré de wokisme de cette candidate, qui fait par ailleurs l’éloge des sorcières et définit notre système par sa « prédation » à tous les niveaux de la société.

La percée de Sandrine Rousseau semble très liée à sa capacité à faire le buzz sur les réseaux sociaux, notamment Twitter. Est-ce étonnant ?

Wokisme et Twitter étaient faits pour s’épouser. C’est le monde du ressentiment, du ressenti, et de l’absence de rationalité — qui n’est comme chacun sait qu’une « fiction blanche ». Internet en général est un univers du malléable, de la fluidité, du constructivisme… Ce n’est pas pour rien que les manifestations du wokisme sur les campus américains commencent lorsque la « iGen », ceux nés à partir de 1995, la génération de ceux qui ont grandi dans le monde des réseaux sociaux et des écrans omniprésents, atteint l’âge d’y être.

À la suite d’une éducation qui les a trop protégés, cette génération fragile dépend d’une intervention d’une autorité ou de tierces personnes pour régler les problèmes à sa place. Que sont les réseaux sociaux hormis un immense réservoir de tierces personnes ?

Pierre Valentin

À la suite d’une éducation qui les a trop protégés, cette génération fragile dépend d’une intervention d’une autorité ou de tierces personnes pour régler les problèmes à sa place. Un commentaire m’a offensé ? Je vais contacter votre employeur pour essayer de vous faire virer, et certainement pas régler ça « entre quatre yeux ». Un conférencier me déplaît ? Je vais me mobiliser pour obliger ma bureaucratie universitaire à « l’annuler », plutôt que de discuter mes désaccords directement avec lui. Or, que sont les réseaux sociaux hormis un immense réservoir de tierces personnes, qui tirent leur autorité de leur nombre ? De ce point de vue, on peut légitimement de se demander si le wokisme aurait pu sortir des campus sans Twitter.

Avons-nous déjà vu un candidat ou une candidate qui cochait déjà toutes les cases de cette idéologie ?

En 2017, Benoît Hamon montrait déjà un certain nombre de symptômes de wokisme, comme son usage assez fréquent de l’écriture inclusive alors que cela n’était pas encore aussi répandu qu’aujourd’hui. De plus, son électorat — je ne suis pas certain qu’il existe beaucoup de jeunes femmes blanches de Sciences Po Paris qui n’aient pas voté pour lui — recoupe parfaitement le portrait-robot du militant woke. Comme le démontrait le sondage IFOP réalisé en février dernier, ce militant « type » est une femme entre 18 et 35 ans, diplômée ou bientôt diplômée, issue d’une famille aisée, qui a voté pour Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017 et qui déclare aujourd’hui une proximité politique avec LFI ou… EELV.

Les candidats susceptibles de donner des gages au wokisme se sentent visiblement contraints d’en distribuer aussi au reste de l’opinion publique, et cela produit en conséquence un grand écart assez spectaculaire.

Pierre Valentin

Mais contrairement aux États-Unis, les candidats susceptibles de donner des gages au wokisme se sentent visiblement contraints d’en distribuer aussi au reste de l’opinion publique, et cela produit en conséquence un grand écart assez spectaculaire.

Par exemple, si on a beaucoup glosé sur la tentative de séduction de Jean-Luc Mélenchon de la mouvance décoloniale ces dernières années, il se sent tout de même contraint sporadiquement d’envoyer des signaux contraires. Sur BFM TV il affirmait même : « La France se vit par son unité. Et qu’est-ce qui rend possible cette unité ? C’est la République et c’est donc une devise qui ne tient aucun compte des religions ou des racines ethniques. Aucun compte. » Un candidat américain sensible aux thèses woke ne s’embarrasserait pas de ce genre de signaux universalistes.

Nos candidats ne sont ainsi souvent que partiellement woke, et il faut y voir à la fois une source d’espérance — nous n’en sommes pas au stade de l’Amérique — mais également une raison de s’alarmer, dans la mesure où ces thèses fleurissent de plus en plus chez des personnes qui se présentent à la fonction suprême de notre pays.

Source : « Sandrine Rousseau, première candidate woke à l’élection présidentielle ? », entretien avec Pierre Valentin, Marianne, 24 septembre 2021 (propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire).

Auteur : Gabriel des Moëres

Vieux gaulliste, républicain exigeant, humaniste et conservateur.

2 commentaires

  1. Je reste assez circonspect sur l’élection de Rousseau, il semblerait qu’une partie des partisans LR est votés pour SR pour avoir Jadot réputé plus facile a débattre. Rousseau, Melenchon et d’autres se rapproche du wokisme simplement pour engranger des électeurs, et se fourvoient dans un dogmes qu’il ne maîtrise pas.

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    1. Le principe de la primaire ouverte exposait à ce risque en effet… Sandrine Rousseau a tout de même un fond idéologique qui, bien que mal digéré en effet, n’est pas un simple vernis à la mode ambiante. J’ai plus de mal, en revanche, à croire à la totale sincérité de la conversion de Mélenchon au wokisme. Il me semble plutôt qu’il a joué avec par opportunisme et qu’il est aujourd’hui prisonnier dans un parti dont il ne maîtrise plus rien mais que, par orgueil, il fait encore semblant de contrôler.

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