
En juillet dernier, Marcel Kuntz dénonçait les voies par lesquelles le wokisme s’infiltrait dans l’enseignement supérieur, tant par la ruse que par la force. Il y mettait en avant un allié stratégique des « progressistes » : l’Union européenne. Au travers notamment du programme de financement de la recherche baptisé Horizon Europe, la Commission place l’égalité et l’inclusion au rang des priorités avec, derrière, un véritable projet de société à l’échelle du continent.
Comme le rappelait Marcel Kuntz, le nouveau programme européen de financement de la recherche, Horizon Europe, explique ainsi que « l’égalité des sexes et l’ouverture aux problèmes d’inclusion sont des priorités ». Pour Mariya Gabriel, commissaire à l’innovation, la recherche, la culture, l’éducation et la jeunesse, la démarche « vise à éliminer les inégalités entre les sexes et l’intersectionnalité des inégalités socio-économiques tout au long de la recherche et de l’innovation ». Du pur wokisme qui va jusqu’à détourner la philosophie plutôt méritocratique de la Charte des droits fondamentaux en faveur d’une chasse aux « biais systémiques » par la discrimination « positive ». L’utilisation même du terme « intersectionnalité » indique sans équivoque à quel puits Mme Gabriel est allée s’abreuver.
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Arme de subvention massive
Il faut savoir que l’Union européenne est une arme de subvention massive. Faute d’autorité directe sur les administrations, agences et organisations nationales, la Commission se sert des crédits dont elle dispose pour orienter et planifier des domaines de recherche entiers. Arrosant ici, asséchant là sur la base de critères qu’elle définit, l’Europe refaçonne le paysage avec, de facto, une certaine efficacité.
Le sujet n’étant donc pas du tout anecdotique, il faut s’adonner à la lecture du document de référence (non disponible en français) qui, sur le site de la Commission européenne, indique aux chercheurs et aux institutions les conditions à remplir pour être éligible à un financement européen. Sur la page de présentation, Mariya Gabriel décrit les orientations à suivre. Il est essentiellement question, à ce stade de gender equality (égalité de genre) mais il est bien probable que le champ des préoccupations s’étendra bientôt à la lutte contre toutes les formes d’exclusion, de domination et d’oppression — dont la liste, trop longue à énumérer, est en outre en croissance constante.
Etablir un Gender Equality Plan est donc un critère majeur pour les institutions publiques, les établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche. Si votre projet est retenu, vous devez disposer d’un plan Gender Equality Plan avant la signature du contrat (à partir de 2022) et celui-ci , signé par les gestionnaires, doit être publié et consultable sur le site Internet de l’institution candidate au financement.
Selon la prose de la Commission, le Gender Equality Plan (GEP) doit comporter :
— des moyens spécifiques (recrutement de ressources humaines et missions d’expertise pour les appliquer),
— la collecte et analyse d’informations (données ventilées par sexe/genre sur le personnel et les étudiants et rapports annuels basés sur des indicateurs),
— un plan de sensibilisation/formation sur l’égalité des sexes et les préjugés sexistes inconscients pour le personnel et les décideurs.
Le GEP doit couvrir et traiter, via des mesures et des objectifs concrets, les domaines suivants :
— équilibre vie privée-vie professionnelle et culture organisationnelle,
— équilibre entre les sexes dans le leadership et la prise de décision,
— égalité des genres dans le recrutement et la progression de carrière,
— intégration de la dimension de genre dans les contenus de recherche et d’enseignement,
— mesures contre la violence basée sur le genre, y compris le harcèlement sexuel.
Comme l’avait auparavant montré Bernard Rougier dans un excellent entretien paru en janvier 2021 dans Le Point, le transfert de la compétence de financement de la recherche de l’Etat à l’Europe est finalement devenu un transfert de pilotage des orientations de la recherche sur le long terme. Or, ces orientations tendent à faire dériver le travail scientifique en direction des rivages wokistanais.
« Par l’intitulé des appels d’offres et la mise en avant de certaines problématiques, souligne Bernard Rougier, l’Union européenne, à travers son Conseil européen de la recherche, est en mesure de favoriser la diffusion de programmes de recherche proche du mouvement décolonial de manière large. » et ce, de surcroît, sans se prémunir des dangereuses interconnexions entre pensée militante décoloniale et islamisme, comme en témoigne, parmi de nombreux exemples, le programme de recherche EuroPublicIslam : Islam in the Making of a European Public Sphere mené par l’EHESS avec 1,4 million d’euros de fonds européens. « Financé pour la période 2009-2013 par le Conseil européen de la recherche, ce programme se propose d’analyser l’émergence de l’islam dans l’espace public européen à travers l’étude des ‘controverses publiques’ provoquées par des modes spécifiques d’affirmation islamique dans des espaces physiques concrets […]. L’ambition du programme était de ‘reconsidérer les principes du sécularisme européen à la lumière de l’émergence du pluralisme religieux que la visibilité de la différence islamique cristallise aujourd’hui’. L’idée poursuivie est de ‘donner la parole à ceux qui ne se sentent pas entendus ou qui se sentent mal représentés, parfois même stigmatisés’« . L’intention finale est de faire émerger un « nouvel espace public européen » issu d’une dynamique de rapprochement mutuel et générateur d’une potentielle mémoire collective euro-musulmane. L’institution scientifique joue ici clairement un rôle d’engagé volontaire — la manne financière aidant — dans la mise en oeuvre d’un projet politique.
Bernard Rougier évoque un autre exemple significatif : le programme RELIGARE, financé par la direction générale de la recherche de la Commission européenne (3,4 millions d’euros de budget dont 2,7 millions apportés par l’UE). Son titre complet — Programme sur la « diversité religieuse et les modèles séculiers en Europe : approches innovatrices du droit et des politiques publiques » — traduit bien l’orientation suivie : le projet assume la mise en place d’un « cadre normatif » (normative framework) grâce auquel il se promet d’évaluer « les déficits dans la manière dont la diversité religieuse et le pluralisme sont traits par les États membres de l’Union ». Pour les auteurs du programme, « au lieu de demander aux gens de se conformer aux normes existantes, l’objectif est de développer un concept d’égalité qui exige adaptations et changement mutuel ». Dans son rapport final, le projet plaide pour une généralisation du multiculturalisme en Europe, en concluant que les institutions européennes « devraient inclure la religion, non seulement sur une base individuelle, mais aussi dans une dimension collective, à l’aide de la promotion de deux critères, la neutralité inclusive et la justice équitable ». Selon les auteurs de l’étude, il est impossible de maintenir une séparation entre le politique et le religieux, car pareille séparation pourrait « être interprétée comme l’expression d’une hostilité publique vis-à-vis d’une communauté religieuse ». La neutralité est définie comme « la gestion des différentes exigences dans l’espace public visant à reconnaître leur rôle et leur légitimité tout en refusant de favoriser une de ces exigences sur les autres ».
Projet politique en toile de fond
A la lumière de ces quelques exemples, le transfert à Bruxelles de l’essentiel de la capacité de financement et donc d’orientation de la recherche octroie aux directions générales de la Commission, en dialogue avec les autres institutions européennes, un pouvoir désormais incontournable pour les organismes de recherche. En fléchant les subventions vers les programmes en accord avec les canons woke, l’Europe favorise aussi la carrière de leurs adeptes avec, à peine voilé, l’objectif de reformater progressivement de l’espace public européen selon des normes éthiques, culturelles et politiques empruntées, pour faire vite, aux théories progressistes et au modèle multiculturaliste.
Sous-jacente, c’est une lame de fond qui se forme ainsi. Mais au fait, avons-nous consenti à ce changement de paradigme ? Sommes-nous mêmes, en tant que citoyens, explicitement et clairement informés de ces intentions ? Poser ces questions, c’est déjà y répondre.
Référence
HORIZON-CL2-2022-TRANSFORMATIONS-01-05 : Gender and social, economic and cultural empowerment
Conditions spécifiques | |
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Conditions spécifiques attendues de l’UE | La Commission estime qu’une contribution de l’UE entre 2 et 3 millions d’euros permettrait de remplir les objectifs. Néanmoins, cela n’exclut pas la soumission et sélection d’une proposition contenant un montant différent. |
Budget indicatif | Le budget indicatif total sur ce domaine est de 9 millions d’euros. |
Type d’actions | Recherche et innovation |
Conditions d’éligibilité | Les conditions sont décrites dans l’annexe générale B. Les exceptions suivantes s’appliquent : En raison de la portée de ce sujet, les entités juridiques établies dans tous les États membres de l’Union africaine sont exceptionnellement éligibles pour un financement de l’Union. |
Résultat escompté
Les projets doivent contribuer aux deux résultats attendus suivants :
— Parvenir à une meilleure compréhension des relations de pouvoir entre les hommes et les femmes dans les sphères sociale et économique, en tenant compte des intersections entre le genre et d’autres facteurs sociaux telles que l’appartenance ethnique, l’origine sociale, le handicap et l’orientation sexuelle, ainsi que les effets cumulatifs des multiples formes de discrimination et d’exclusion.
— Fournir une base de données sur le rôle de l’éducation et des médias dans la perpétuation ou l’élimination des stéréotypes.
— Contribuer à inverser les inégalités socio-économiques et culturelles et à promouvoir l’égalité entre les sexes, et ainsi contribuer à la réalisation de l’objectif n°5 de l’Agenda 2030 de développement durable global, à savoir la réalisation de l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles.
Portée
La pleine égalité des sexes dans la distribution et la concentration du pouvoir dans toutes les sphères politiques, sociales, culturelles et économiques est loin d’être réalisée : dans l’indice d’égalité de genre 2020 de l’EIGE, le domaine du pouvoir obtient le score le plus bas parmi les six domaines, avec une moyenne européenne de seulement 53,5 sur 100. Les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes ne concernent pas seulement la prise de décision et la politique, mais se reflètent également dans notre vie quotidienne, notamment sur le lieu de travail, dans les universités, dans les arts et la culture, dans les sphères privée et publique, dans l’éducation et la socialisation des jeunes enfants. Si de nombreuses recherches ont été menées sur les inégalités et les relations de pouvoir dans ces différents domaines, elles ne se sont pas toujours traduites par des changements pratiques, durables et structurels au niveau politique et sociétal. À la lumière des crises économiques, des pandémies et de l’urgence climatique, il est crucial de réexaminer ces relations de pouvoir et de proposer des solutions et des réponses politiques innovantes pour faire progresser l’autonomisation des femmes.
Les propositions doivent aborder les points suivants : proposer un cadre théorique permettant de comprendre la formation des hiérarchies de pouvoir liées au genre et conduisant à des formes systématiques et structurelles de discriminations, d’inégalités sociales et économiques et de violences liées au genre. Ce cadre devrait permettre d’élaborer des solutions pour lutter contre les inégalités et les causes sous-jacentes liées à la perception et à la construction par la société des normes de genre, des masculinités, des féminités et des identités de genre. Examiner comment l’intersectionnalité du genre avec, par exemple, l’ethnicité, l’origine sociale, la religion, le handicap et l’orientation sexuelle a un impact sur la position et les droits d’une personne dans la société et la hiérarchie sociale, ainsi que sur ses choix de vie et de carrière.
Les propositions doivent analyser les interrelations de pouvoir et les obstacles à l’égalité entre les hommes et les femmes entre différentes questions sociales et économiques, y compris, entre autres : la politique et la prise de décision, la participation au marché du travail et l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes, les dispositions relatives au lieu de travail et à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la violence sexiste et domestique, les droits reproductifs, les rôles des hommes et des femmes dans l’éducation, et les représentations culturelles, notamment dans l’art et les médias. Une attention particulière devrait être accordée aux différents contextes culturels dans l’UE et entre les pays associés et les pays tiers étudiés, ainsi qu’aux contextes spécifiques des crises économiques, des pandémies, du changement climatique et de « l’avenir du travail ». L’action devrait proposer des solutions concrètes et pratiques, des outils innovants et des réponses politiques pour démanteler les racines structurelles et systématiques de la répartition inégale du pouvoir entre les femmes et les hommes à tous les niveaux et promouvoir l’autonomisation sociale et économique des femmes. Pour atteindre les résultats escomptés, la coopération internationale est fortement encouragée, ainsi que le développement d’approches d’innovation sociale, qui peuvent favoriser de nouvelles pratiques sociales, l’appropriation sociale ou l’adoption par le marché.
Traduit de l’anglais avec DeepL.