
Ancien professeur de philosophie à l’université de Portland (États-Unis), Peter Boghossian a démissionné de ses fonctions le 8 septembre dernier, dénonçant le virage idéologique que prend depuis quelques années le monde universitaire américain. Victime d’une censure violente de la part des étudiants et de l’administration, mais aussi connu pour provoquer l’indignation dans ses cours en invitant des intervenants aux idées extrêmes — voire absurdes —, il revient sur les raisons de ses méthodes polémiques. Elles constituent pour lui le moyen de retrouver un débat libre de tout dogmatisme, mais respectueux.
Philosophie Magazine. — Pouvez-vous vous présenter rapidement ?
Peter Boghossian. — Je suis professeur de philosophie, j’ai longtemps enseigné à l’université de Portland (Oregon, États-Unis). J’ai passé ma thèse en prison, où je travaillais avec les détenus sur l’acquisition d’une pensée critique et d’un raisonnement moral dans le milieu carcéral. Depuis, j’enseigne la pensée critique, l’éthique, la philosophie des sciences et la philosophie de l’éducation. J’ai publiquement démissionné de mon poste à l’université de Portland le 8 septembre dernier, à cause du climat délétère qui y régnait, en particulier vis-à-vis de la liberté d’expression des professeurs.
Pouvez-vous nous décrire le climat intellectuel qui régnait dans votre université ?
Laissez-moi d’abord vous citer cette étude qui vient de paraître sur le site Inside Higher Ed : « Notre enquête a révélé que plus de la moitié des étudiants considère l’inégalité raciale comme ‘un sujet difficile’ à aborder sur leur campus. 40% a déclaré se sentir à l’aise pour exprimer publiquement son désaccord avec un professeur, ce qui représente une baisse de 5% par rapport à l’année dernière. Mais près d’un étudiant sur quatre a reconnu qu’il était acceptable de recourir à la violence pour mettre fin à un discours sur le campus, soit une augmentation de 5% par rapport à l’année dernière. Dans les universités d’élite, la proportion est encore plus élevée, un étudiant sur trois jugeant la violence acceptable. En outre, 66% des étudiants a déclaré qu’il était acceptable de faire taire un orateur sur le campus, en criant par exemple, ce qui représente une nette augmentation par rapport à l’année dernière. » Ce qui est ahurissant ici, c’est que de moins en moins d’étudiants se sentent à l’aise pour exprimer leur désaccord, mais trouvent de plus de plus acceptable de recourir à la violence pour interrompre un discours jugé intolérable. Dans mon cas particulier, cela s’est traduit très concrètement dans les actes : on m’interrompait en classe en déclenchant les alarmes incendie, puis j’ai commencé à retrouver des croix gammées dessinées sur la porte de mon bureau, puis on me crachait dessus…