Par une interview bien évidemment très complaisante, le Huffington Post assure la promotion de l’énième bouquin néo-féministe de l’année, commis par la journaliste Lucile Quillet. Avant de la reproduire pour l’édification de nos lecteurs wokistanais, Gabriel des Moëres a tenu à s’en amuser le temps de quelques lignes.
Anne Sinclair a-t-elle lu cet article paru dans le média qu’elle dirige ? Avec un brin de malice, on pourrait lui demander si elle a fait le calcul de ce que lui a coûté Dominique Strauss-Kahn, ce mari vorace auquel elle a été liée pendant plus de vingt ans… Plus sérieusement, il serait peut-être temps que les néo-féministes de la veine de Lucile Quillet s’interrogent sur la contribution effective qu’elles apportent à la cause des femmes. Qu’elles se demandent vraiment pourquoi, malgré le matraquage quotidien de leur idéologie identitaire et victimaire, celle-ci n’assure guère plus de débouchés que des situations précaires dans la presse médiocre, des micro-phénomènes d’édition et, pour les plus astucieuses, de lucratives activités de gestapiste d’entreprise.
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Caroline De Haas a été remise à « l’honneur », il y a quelques jours, grâce à une longue enquête publiée dans Le Figaro. Voilà qui offre l’occasion de revenir, avec deux articles tirés de Valeurs actuelles et un du Point, sur la florissante agence Egae et ses méthodes d’épuration dignes de Berlin-Est à la grande époque.
En réalité, souffler l’air du temps, celui de l’émancipation féminine, dans un pipeau virtuel, ne produit rien que du vent, parfois qu’une pollution sonore ou, au mieux, une petite musique d’ascenseur diffusée pour occuper le vide pendant quelques instants. Naguère, le même Huff’Post relatait les travaux de deux journalistes, Léa Taieb et Juliette Lenrouilly, sur les poils féminins… quand Mona Chollet, dans son réquisitorial Réinventer l’amour publié en septembre, propose moins une invention qu’elle ne radote un inventaire de tous les fardeaux supportés par le « sexe faible » (oups !) et les « constructions sociales » qui auraient figé hommes et femmes dans des représentations et des rôles forgés par le satané patriarcat, jusqu’à questionner la possibilité même, dans ces conditions, de l’amour au sein du couple hétérosexuel. Et pourtant la journaliste confesse en introduction de son livre : « En choisissant ce sujet, je sais que je me condamne à rouler lamentablement au pied du podium de la radicalité féministe« , s’excusant presque de se montrer plus tendre qu’Alice Coffin…
Libérer la femme et déconstruire l’homme pour que chaque couple soit à l’image de « Madame et Monsieur Rousseau », voilà l’horizon des militantes sincères. Déjà bien bas, il reste au moins plus considérable que celui des surfeuses qui se bornent à faire, comme Titiou Lecoq et Lucile Quillet, commerce de la complainte autocentrée par story — Instagram ou livresque — interposée.
G. des Moëres
Quel est le coût du couple hétérosexuel pour les femmes? Cette journaliste s’est posé la question

Dans son livre Le Prix à payer, Lucile Quillet décortique l’argent perdu ou dépensé par les femmes pendant, mais aussi avant et après la mise en couple.

Vingt mille euros. C’est le coût moyen, sur une vie, des séances d’épilation auxquelles une femme se consacre, estime Lucile Quillet. Autant d’argent qu’elle n’investit pas ailleurs. Et la liste des dépenses visibles des femmes est longue, tout comme celle de leurs dons invisibles au sein du foyer. C’est à ce coût du couple hétérosexuel pour les femmes que la journaliste s’intéresse, dans un livre intitulé Le Prix à payer paru le 6 octobre.
Dans cet essai, où le couple hétérosexuel est envisagé comme un système plutôt que comme un cas particulier, l’autrice analyse l’argent que les femmes dépensent, perdent ou ne gagnent pas avant, pendant et après la mise en couple. A cet argent qu’elles doivent dépenser pour répondre aux injonctions de la société, mais aussi à celui qu’elles ne toucheront jamais parce que les rapports sont toujours inégalitaires et leurs carrières encore trop souvent mises entre parenthèses.
Comment avez-vous pris conscience de ce prix à payer ?
En tant que journaliste, ça fait longtemps que j’écris sur la vie des femmes, la maternité, le travail. J’ai réalisé que les croisements entre vie personnelle et vie professionnelle impactaient beaucoup la vie des femmes. J’ai alors voulu écrire sur le rapport des femmes à leur corps, les complexes liés au concept de femme parfaite selon des critères hétéronormés, la charge contraceptive et l’appauvrissement des femmes après une rupture.
J’ai remarqué que lorsque les femmes parlent des inégalités économiques, on discrédite leur parole en disant que c’est leur sensibilité, qu’elles sont trop “hystériques”. Sous couvert du fait que ce serait de l’ordre du privé, on ne les écoute pas. Je me suis dit que parler d’argent, c’était finalement un bon un prétexte pour parler d’une langue que tout le monde comprend : les chiffres. Et ces chiffres montrent que ce ne sont pas seulement les hommes qui font des économies grâce aux femmes, c’est toute la société.
Quel chiffre vous a le plus marquée au cours de votre enquête?
Celui selon lequel un père de trois enfants va gagner 12 % de niveau de vie après une séparation. En revanche, plus une femme a d’enfants, plus elle frôle la pauvreté après une séparation.
Sinon, tout simplement le fait qu’il y a seize semaines de congé maternité pour seulement sept jours obligatoires pour les hommes. Les 28 jours ne sont pas obligatoires, et à partir du moment où ce n’est pas obligatoire, ça veut dire que certains auront la pression dans leur entreprise pour ne pas les prendre.

Être la bonne candidate au couple hétéro, c’est être une créature pas trop menaçante, montrer un désintérêt pour l’argent, montrer patte blanche avec son apparence.
Lucile Quillet.
Vous expliquez que le coût du couple hétérosexuel, c’est pendant, mais aussi avant. Pouvez-vous l’expliquer ?
Je n’ai pas abordé le couple hétéro comme un “toi et moi”, “un homme et une femme”, mais comme un idéal de vie. Dans nos sociétés très normées, on nous fait croire que l’hétérosexualité est la meilleure façon d’être heureux. Et pour atteindre cet idéal du couple, exclusif, qui cohabite et a des enfants, il faut respecter certains codes. Pour un homme, c’est d’être fort, solide. Pour une femme, être la bonne candidate au couple hétéro, c’est être une créature pas trop menaçante, montrer un désintérêt pour l’argent, montrer patte blanche avec son apparence.
Sur ce point, tout ce rapport à la charge esthétique est beaucoup plus fort pour les femmes que pour les hommes : il faut être mince, épilée, maquillée, apprêtée si on sort. Si on essaye de trouver quelqu’un en n’étant pas maquillée, pas épilée et en ayant les cheveux gras on va nous dire qu’on n’est pas motivées, qu’on n’a pas envie d’être aimée. Mais c’est nous demander de détourner notre nature tous les jours. Ce sont des micro actes de non-amour envers nous-mêmes pour récolter l’amour des autres.
J’ai d’ailleurs estimé le coût de cette charge esthétique à l’échelle de toute une vie. Même si toutes les femmes ne vont pas l’esthéticienne, si on fait un coût moyen de l’épilation à 60 euros par mois, cela revient, sur 35 ans, à une dépense de 20 000 euros. Or, avec cette somme, on aurait pu investir, on aurait pu faire des choses qui peuvent nous rapporter plus sur le long terme.
À cela, on objecte souvent que les femmes ont le choix de ne pas céder à ces injonctions. Que répondez-vous ?
Je réponds que, parfois, le choix de la norme est plus facile que le choix de ses convictions. Ce n’est pas facile à vivre tous les jours d’avoir des remarques, des réflexions. Même au niveau professionnel, on sera jugées plus compétentes si on est maquillées, c’est prouvé, ce sont des compétences définies par un male gaze. Alors on essaye de se débrouiller entre nos convictions et ce qui nous permet d’être à l’aise en société, même si parfois c’est contradictoire. Mais ce n’est pas aux femmes de se responsabiliser à ce sujet. La société aussi peut changer. Et il est important que les hommes réalisent également que la façon dont ils célèbrent les femmes est politique.
Pouvez-vous nous expliquer qui sont “Madame PQ” et “Monsieur Voiture”?
Avec une répartition genrée, les dépenses au sein d’un couple se font au nom du collectif, mais, souvent, les hommes vont gérer les plus gros postes de dépense, qui sont des choses plus valorisées et valorisantes, comme les impôts, l’organisation des vacances ou l’achat d’une voiture. Les femmes, elles, vont plutôt gérer les tâches domestiques, le quotidien, acheter des fournitures, des couches pour les enfants, du papier toilette. Au final, les montants sont peut-être équivalents, mais ils ne sont pas du tout valorisés de la même manière.

Les hommes vont gérer les plus gros postes de dépense, comme les impôts, l’organisation des vacances ou l’achat d’une voiture. Les femmes, elles, vont plutôt gérer les tâches domestiques, le quotidien, acheter des fournitures, des couches pour les enfants, du papier toilette.
Lucile Quillet.
De la même manière, les femmes sont plus souvent à temps partiel que les hommes. Eux vont gagner plus et dépenser plus pour la famille. Sur le moment, les dons immatériels de la femme pour le foyer et les dons matériels de l’homme peuvent se valoir. Mais à long terme, qu’est-ce que ça donne ? On voit bien que l’investissement n’est pas le même. Après une rupture, les femmes subissent une perte de niveau de vie de 20 %. Elles auront peut-être travaillé dur pour leur famille, ce sont surtout les hommes qui vont conserver les fruits de tout ça, avec des richesses concrètes.
C’est l’image que vous donnez de la “locomotive familiale”…
Cette locomotive, c’est la carrière de l’homme. Quand tout le monde est dans le wagon, tout va bien, on avance ensemble à vitesse rapide, mais s’il y a une rupture, la femme descend à quai et elle finit à pied. Et la locomotive continue d’avancer. Concrètement, si vous êtes une femme et que vous vous mettez à temps partiel pendant 15 ans pour gérer la famille et que votre conjoint trace sa carrière, au moment d’une rupture ce sera beaucoup plus difficile pour vous de retrouver une indépendance économique, un logement, un emploi. Sans compter sur la garde des enfants, majoritairement accordée aux femmes, qui a aussi un coût.
Vous évoquez cet argent que les femmes n’auront jamais, à quoi faites-vous référence ?
C’est ce que j’appelle la perte d’opportunité. Il y a d’un côté l’argent qu’on dépense pour le couple, de l’autre l’argent qu’on ne touche pas au niveau du couple. Quand on a une carrière moins rémunératrice parce qu’on doit s’occuper des enfants et qu’on n’accepte pas tel ou tel emploi, on ne va pas s’investir de la même façon dans le couple.
Beaucoup de femmes veulent faire 50/50 avec leur compagnon, même avec un gros écart de salaire. Demander ça, c’est montrer combien on défend son honneur, combien on est une femme émancipée, ça veut dire qu’on exige de soi-même d’être un exemple d’égalité alors qu’on vit dans une société inégalitaire.
Je vais prendre un exemple. Si une femme suit son conjoint au bout du monde parce qu’il a une super opportunité, elle va potentiellement moins gagner pour plusieurs raisons: ce sera plus dur de se reconvertir ou de devenir freelance. C’est déjà une perte d’argent directe, de l’argent qu’elle ne touchera pas. Elle ne paiera peut-être pas autant en loyer, elle sera peut-être “entretenue”, comme on aime le dire, par son conjoint. Sauf que c’est aussi sa présence à elle qui rend possible cette expatriation. De plus, elle va se sentir redevable de son conjoint qui rapporte concrètement de l’argent et lui crée un manque à gagner.
Ce manque à gagner bénéficie-t-il forcément aux hommes ?
La valeur qu’elles dégagent par leur disponibilité, pour la famille par exemple, rejaillit directement sur la carrière des hommes, car in fine elle se traduit pour eux par un salaire plus important. Depuis que j’ai écrit ce livre, je sais que le travail, ce n’est pas seulement un contrat et un salaire. C’est une activité qui crée de la valeur pour soi ou pour un autre bénéficiaire que soi. Aller récupérer ses enfants quand son conjoint a le loisir de terminer à 20 heures, c’est la création d’une opportunité de gain de temps, et donc d’argent. Ces dons invisibles des femmes pour leur famille se traduisent dans le salaire et l’investissement des hommes. L’État aussi bénéficie de ces dons invisibles des femmes, mais c’est encore une autre question.

Le travail, ce n’est pas seulement un contrat et un salaire. C’est une activité qui crée de la valeur pour soi ou pour un autre bénéficiaire que soi.
Lucile Quillet.
Le couple hétérosexuel en tant que système est de plus en plus considéré comme incompatible avec le féminisme. Finalement, pensez-vous qu’il faille s’en défaire ?
Quand j’entends parler de sortir de l’hétérosexualité, ça ne veut pas dire pour moi de ne plus être en couple. C’est plutôt s’affranchir de ces normes qui génèrent des inégalités pour les femmes, mais aussi pour les hommes. J’entends ce discours d’un célibat politique, et je trouve qu’il est important qu’on puisse l’entendre, qu’on puisse être heureux en étant célibataire ou en vivant selon en autre modèle. Mais certaines personnes ont simplement envie d’être en couple, de fonder une famille, et je trouverais ça injuste que certaines femmes y renoncent parce qu’elles ne peuvent pas avoir 20/20 à l’exercice de l’égalité. On ne peut pas faire de nos vies des œuvres militantes. On vit avec des principes qui nous aident à nous respecter, à nous aiguiller, ce sont des boussoles quand on est un peu perdu, mais on ne vit pas pour ces principes, sinon on devient l’esclave d’autres injonctions. Mais on peut sortir de l’hétérosexualité dans le sens où on va réinventer plein de choses pour que ce modèle soit plus égalitaire.