Pascal Blanchard, l’indigéniste « cool » qui murmure à l’oreille de l’Élysée

L’entrepreneur a su séduire les élites politiques et médiatiques. Au point que le gouvernement lui a confié la mission de célébrer les personnalités issues de la « diversité ». Mais celui qui se présente comme historien est qualifié d’imposteur par une partie de ces derniers, relate Alexandre Devecchio.

Dalida, Goscinny, de Funès, Césaire, leurs noms pourraient bientôt baptiser rues et bâtiments publics. Ils figurent sur la liste de 318 hommes et femmes promise par Emmanuel Macron, lors d’un entretien au média Brut pour célébrer des personnalités issues de la « diversité ».

À l’origine de cette liste, une figure, pas encore très connue du grand public, mais de plus en plus influente et médiatique : Pascal Blanchard. Chemise blanche dégrafée, cheveux coiffés en arrière, cigarillos au bec, l’homme, qui se présente comme historien spécialisé dans la colonisation et l’immigration, reçoit les journalistes dans les locaux de son agence de communication, boulevard des Batignolles, sorte de musée « décolonial » dont les murs sont tapissés d’affiches exotiques.

Avec son style à la fois chic et décontracté, son bagou et ses faux airs de Patrick Bouchitey, l’interprète culte du prêtre dans le film La Vie est un long fleuve tranquille, Blanchard a su séduire les médias, mais aussi une partie des «élites» économiques et politiques. Jusqu’au président de la République avec lequel il échange en tête à tête à l’Élysée après une projection privée du film Tout simplement noir, récemment récompensé aux César.

Un étrange mélange des genres

La plupart des historiens et des universitaires voient, cependant, en lui un agitateur doublé d’un dangereux idéologue propageant et instrumentalisant à des fins à la fois militantes et lucratives une image mensongère du passé colonial. Dans Le Figaro, Pierre Vermeren, professeur d’histoire à l’université de la Sorbonne, pointe les « mensonges et les omissions » de son film, Décolonisation. Du sang et des larmes , diffusé sur France 2, le mardi 6 octobre 2020, qu’il qualifie d’« œuvre commerciale sans déontologie ». Dans L’Express, c’est une tribune cosignée par plusieurs chercheurs dont Laurent Bouvet (université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), Nathalie Heinich (CNRS), Dominique Schnapper (EHESS) et Pierre-André Taguieff (CNRS), qui vise Blanchard comme « un bonimenteur du postcolonial business en quête de respectabilité académique ». Au téléphone, Taguieff, assassin, enfonce encore le clou : « Avec ses grands concepts faussement sophistiqués, il fait beaucoup d’effets auprès des ignorants. Mais c’est un bateleur d’estrades, un marchand de savonnettes : l’Alexandre Benalla des études post-coloniales. »

Car s’il est souvent présenté comme directeur d’études au CNRS, Pascal Blanchard n’est en réalité que « chercheur associé » (statut temporaire obtenu par cooptation, mais curieusement renouvelé depuis 2002). Et s’il peut se prévaloir d’un doctorat en histoire obtenu en 1994 à l’université de la Sorbonne, il n’a jamais eu aucun poste dans une quelconque université. Il a fondé son entreprise de communication avant même la fin de ses études. Un mélange des genres sur l’ambiguïté duquel Blanchard joue se faisant passer pour un universitaire reconnu auprès des institutions qui font appel à lui.

Bernard Rougier, qui enseigne le monde arabe à la Sorbonne et s’est récemment opposé à lui lors d’un débat sur le plateau de CNews, résume : « Blanchard est un homme d’affaires qui fait un business ethnique et utilise la question noire comme une source de notoriété et de profit. » Et de regretter que le gouvernement, par la mission qu’il lui a confiée, légitime institutionnellement une imposture.

« Ce n’est pas avec les universitaires que je joue à la pétanque le week-end. J’ai tout ce qu’ils détestent : la visibilité, le côté hâbleur, un vrai métier d’entrepreneur à côté. »

Pascal Blanchard.

À ces critiques, Pascal Blanchard oppose d’éminents soutiens : on peut citer celui de l’actuel président du CNRS, Antoine Petit, préfacier en écriture inclusive de l’une de ses dernières publications, Sexualités, identités et corps colonisés (CNRS Éditions, 2019). Ou celui de l’historien de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora, qui s’est également vu confier une mission sur la réconciliation des mémoires par Emmanuel Macron. « Blanchard a défriché un territoire sur la question coloniale, explique Stora. À rebours de la plupart de mes collègues, je trouve intéressant le fait qu’il ait monté une entreprise privée. Il faut sortir de notre tour d’ivoire académique. »

Blanchard lui-même aime se camper en autodidacte en butte au conformisme du monde de la recherche rappelant qu’il était ingénieur en génie civil avant de se lancer dans des études d’histoire qu’il aurait financées en participant à l’aménagement, la nuit, de la station Ourcq, à Paris. « Ce n’est pas avec les universitaires que je joue à la pétanque le week-end. J’ai tout ce qu’ils détestent: la visibilité, le côté hâbleur, un vrai métier d’entrepreneur à côté, lance-t-il. Répéter mon cours quinze fois dans l’année n’est pas mon truc. Je viens du bâtiment et des travaux publics, j’aime construire. »

Dès 1989, Blanchard créé le collectif Achac (Association connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine), qui réunit des chercheurs véritables ou supposés et des militants politiques. Tous prétendent travailler « sur les représentations et les imaginaires coloniaux et postcoloniaux ». Le groupe est partenaire d’une myriade d’institutions publiques ou parapubliques (les ministères de l’Enseignement supérieur, de la Défense, de la Jeunesse et des Sports, des Outre-Mer, le CNC, des dizaines de collectivités territoriales), qui financent et achètent ses travaux : conférences, expositions, « supports pédagogiques » destinés aux écoles et aux collèges.

Le Rastignac de l’«âge identitaire»

En 1995, adossé à cette structure, il crée également une agence de communication privée, Les Bâtisseurs de mémoire, qu’il codirige, et dont l’objectif affiché est de « promouvoir le passé historique, publicitaire et patrimonial des grandes marques », souvent soucieuses de s’acheter une bonne conscience antiraciste et multiculturelle. L’Oréal, qui commercialise des gammes de produits de beauté ethniques, ou l’industriel du rhum, Mount Gay Rum, dont l’histoire commence dans les Caraïbes au début du XVIIIe en pleine période d’esclavage, figurent parmi les nombreux clients de Pascal Blanchard.

Depuis des décennies, l’homme d’affaires arpente la France et l’outre-mer, fréquente les allées du pouvoir en essayant de jouer sur la culpabilité « post-coloniale » et la nécessité pour les acteurs publics et privés de faire quelque chose dans ce domaine, sous peine de passer pour raciste. « Sa liste des noms de rue est typiquement un cheval de Troie commercial, décrypte un macroniste de la première heure. Blanchard est mandaté au plus haut niveau de l’État pour établir ce catalogue qu’il va ensuite aller vendre avec sa canne et son chapeau aux municipalités et puis, au passage, il va leur vendre une plaque, un livre, une conférence… »

Tel un Rastignac de l’«âge identitaire», il comprend dès les années 1990 l’importance que vont prendre les questions de « races », d’«esclavage» ou de « colonisation » et va les exploiter comme marchepied pour son ascension entrepreneuriale et médiatique. Au risque d’alimenter les ressentiments qu’il prétend combattre?

Blanchard contribue à populariser le concept décrié de « Zoo humains » qu’il déclinera, non sans sensationnalisme, sur tous les supports : livres, films, expos. Il surfe sur les émeutes de banlieues de 2005 qu’il présente à l’époque comme le fruit de notre héritage colonial. Dans l’ouvrage collectif, La Fracture coloniale, qu’il dirige, il dresse un parallèle entre colonisés d’hier et immigrés d’aujourd’hui, selon lui, victimes d’un même racisme, présentant la France comme « une société postcoloniale » reproduisant certaines pratiques issues de la colonisation : « ghettoïsation des banlieues », « discriminations », « conception de l’histoire nationale », « stigmatisation de l’islam », etc.

Blanchard prétend être depuis toujours un adversaire des Indigènes de la République, mais fait partie de ceux qui ont contribué à banaliser leurs thèses et asseoir leur notoriété. « L’appel des Indigènes de la République a le grand mérite de rappeler, fût-ce sur un mode provocateur, que la ‘culture coloniale’ est toujours à l’œuvre en France aujourd’hui. Une évidence que beaucoup se refusent à reconnaître », écrivait-il dans Le Monde lors du lancement du groupuscule « décolonialiste » et identitaire, en 2005. S’il a pris aujourd’hui ses distances avec eux, c’est moins par désaccord idéologique que par souci de respectabilité et parce que ces derniers le stigmatisent désormais comme « intellectuel blanc ».

« Culture de la repentance »

« Blanchard est la figure de l’indigéniste cool ou le visage soft du décolonialisme. »

Gilles Clavreul.

Le choix du gouvernement de lui confier une mission sur la diversité interroge d’autant plus. On peut y voir une nouvelle illustration du « en même temps » macroniste sur les questions culturelles ainsi qu’un symptôme de l’entrisme des thèses décolonialistes au sein des institutions. Un entrisme qui dépasse très largement le cas Blanchard. « Les décoloniaux tentent d’imposer par tous les moyens une culture de la repentance à la République française sur tous les sujets », soupire un conseiller du président de la République expliquant subir tous les jours des pressions pour « transformer les commémorations du bicentenaire de Napoléon en commémoration sur l’esclavage »« Cet entrisme révèle l’absence de réelles convictions de la plupart des élites sur ces sujets et leur absence de compréhension des enjeux, analyse Gilles Clavreul, cofondateur du Printemps républicain et ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. C’est particulièrement vrai pour la macronie, sensible et séduite par les produits marketés. Blanchard est la figure de l’indigéniste cool ou le visage soft du décolonialisme. »

Très actif au sein des « Gracques », groupe informel de pression composé de hauts fonctionnaires sociaux-libéraux, Blanchard influence Emmanuel Macron depuis sa campagne. Lorsque le candidat En marche ! qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité », phrase qui a fait sursauter bien des historiens, il faisait du Pascal Blanchard dans le texte. « Emmanuel Macron correspond à une génération qui ne comprend pas pourquoi la France ne reconnaît pas ce qui s’est passé », explique l’entrepreneur, qui rêve à haute voix de se voir confier, par le Président de la République, la création d’un musée de la colonisation, sur le modèle du musée afro-américain de Washington.

Blanchard jure que son objectif est de réconcilier les mémoires et de recoller les morceaux de la France morcelée, mais l’intérêt de son business ne repose-t-il pas sur les problèmes qu’il prétend régler ? Si les plaies venaient à se refermer, l’entrepreneur identitaire serait obligé de déposer le bilan.

Source : Alexandre Devecchio, « Pascal Blanchard, l’indigéniste ‘cool’ qui murmure à l’oreille de Macron », Figaro Vox, 8 avril 2021.

Auteur : Gabriel des Moëres

Vieux gaulliste, républicain exigeant, humaniste et conservateur.

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