
Question trans, voile, prostitution… Accusée d’être une « sale TERF », l’ex-Femen Marguerite Stern dénonce les tabous du féminisme et le « harcèlement » qu’elle subit.
Un message d’excuse, à 8h40, qui n’augure rien de bon : Marguerite Stern annule notre entretien, fixé à 15 heures. Qu’a-t-il pu se passer en l’espace de quelques heures — nous l’avions contactée la veille — pour que l’ex-Femen et créatrice des Collages Féminicides préfère se murer dans le silence ? Le 22 janvier 2020, elle publiait une série de tweets mettant en cause la place des personnes transgenres dans les luttes féministes. Quelques minutes après, l’activiste autrefois portée au rang d’icône de la lutte contre les violences faites aux femmes était, dans le meilleur des cas, qualifiée par des milliers d’internautes de « sale TERF » (acronyme désignant une féministe radicale excluant les personnes trans NDLR). Craindrait-elle que l’histoire se répète deux ans après ? Car, aussitôt notre invitation acceptée, la jeune femme annonçait sur Twitter se trouver en hôpital psychiatrique en raison du « harcèlement qu’[elle] subit depuis deux ans », « de loin le plus dur ». En tant que Femen, Marguerite Stern a connu la prison en Tunisie et les menaces « de l’extrême droite et des islamistes ». Mais aujourd’hui, le harcèlement vient selon elle de son propre camp : des féministes.
A trente minutes de ce qui devait être notre rendez-vous, l’activiste nous écrit : elle a de nouveau changé d’avis et nous contactera. Depuis sa chambre d’hôpital, Marguerite Stern énumère pendant de longues minutes les menaces de viols, les violences, les plaintes classées sans suite et les insultes. Puis attrape ses cigarettes pour embrayer à l’air libre sur la liberté d’expression, la cancel culture et les tabous du féminisme. A chaque réponse précède une longue inspiration, comme pour estimer la pertinence de la question, et sa capacité à y répondre. Parfois, elle ose même un franc « je ne sais pas ». Car on sent une jeune femme qui, si elle ne se prive pas de dire ce qu’elle pense, ne s’interdit pas non plus de douter. Comme sur les mutations du féminisme ou sur son rapport aux hommes. Avec une certitude qu’elle martèlera durant tout l’entretien : on ne lui fera pas dire « qu’être une femme est un sentiment ». Entretien.
Vous êtes actuellement hospitalisée dans un hôpital psychiatrique après « deux ans de harcèlement quotidien », écrivez-vous sur Twitter. Pourriez-vous décrire votre situation ?
En janvier 2020, j’ai commencé à prendre la parole contre le transactivisme en publiant une série de tweets. Sur des comptes Instagram de Collages contre les féminicides, je voyais de plus en plus de messages qui me dérangeaient, car plus du tout en rapport avec les violences conjugales et les féminicides, mais avec le transactivisme. J’estime que c’est une idéologie qui prend de plus en plus de place dans le féminisme et qui véhicule des valeurs sexistes contre lesquelles je me bats, moi, en tant que féministe. Conséquence : depuis deux ans, je reçois des menaces de mort, de viols, et des insultes. On me diffame en me qualifiant de transphobe alors que je ne tiens jamais de propos appelant à la haine des personnes transgenre. Le 7 mars dernier, on m’a aussi jeté des oeufs au visage parce que j’étais venue manifester contre la prostitution avec d’autres femmes du Collectif abolition porno-prostitution (CAPP) et l’Amazone. Il y a aussi les messages quotidiens d’insultes, qui peuvent sembler anodins. Mais pour moi c’est comme cette technique de torture où vous faites tomber une goutte d’eau sur le crâne de quelqu’un pendant des jours jusqu’à ce qu’il craque. Vous avez beau vous dire que vous êtes forte, cela atteint votre estime de vous-même, votre amour-propre et votre confiance en vous.
Ce harcèlement touche aussi mes proches — j’ai perdu des amies — et des personnes qui ont le malheur de me suivre sur les réseaux sociaux et qui n’osent plus s’exprimer. C’est même allé jusqu’au saccage par des transactivistes d’un squat que nous avions créé avec d’autres militantes féministes de l’Amazone, dédié à la lutte contre les violences faites aux femmes. Ils ont arraché les photos et les collages au mur parlant de femmes assassinées en écrivant « sales TERF ». La mémoire de ces femmes pour qui nous luttons a, elle aussi, été profanée.
Avez-vous reçu des soutiens de la part d’associations féministes ?
Pas de la part d’associations féministes. Même si je sais qu’en « off », certaines sont d’accord avec moi mais ne peuvent pas, ou ne souhaitent pas, le dire publiquement. En vérité, je reçois plus de soutien — notamment de la part de lesbiennes — que de menaces. Certains jours, ce sont des dizaines voire des centaines de messages. Depuis ce thread en janvier 2020, de nombreuses femmes me disent qu’elles n’osent pas s’exprimer. A la fois, je les comprends quand on voit ce que Dora Moutot (fondatrice d’un compte féministe Instagram mettant en avant la sexualité féminine, NDLR) ou moi subissons. Heureusement, il y en a de plus en plus qui parlent, mais cela reste encore trop timide.
Quelle est votre conception du féminisme ? Comment a-t-il, selon vous, évolué depuis que vous avez commencé votre activisme ?
Le féminisme, ça n’est pas uniquement une lutte pour l’égalité de droit entre les femmes et les hommes, mais véritablement un combat pour une libération des femmes, de leur parole, pour une réparation du préjudice subit depuis des millénaires, et contre l’oppression d’un individu ou d’un groupe d’individus sur un autre. Si je me dis féministe, c’est parce que l’oppression des femmes est la plus ancienne et la plus massive. Pour moi le féminisme c’est aussi se battre contre l’homophobie et le racisme, de façon universelle, pacifiste, et radicale. Mais depuis quelques années, j’observe que l’on parle « des » féminismes et non plus « du » féminisme, comme s’il pouvait y avoir plusieurs définitions à la lutte féministe : on fragmente, on divise, on crée des catégories. Il y a de plus en plus de violence aussi. Le désaccord peut être sain. Mais quand on verse dans la violence, il ne peut plus y avoir un dialogue franc d’égal à égal. C’est ce qui se passe actuellement. Je suis pour le débat, mais arguments contre arguments.
Vous avez soutenu Mila, et affirmé que l’Islam est une religion patriarcale par essence, ce qui n’a pas été du goût de toutes les associations féministes. Y a-t-il des tabous dans le féminisme ?
Actuellement, il y a trois sujets clivants dans le milieu féministe : la prostitution, la religion — avec une cristallisation particulière sur la question de l’Islam et du voile — et le transactivisme. C’est devenu de plus en plus difficile, pas seulement dans le féminisme, de dire que l’Islam pose certains problèmes. Pendant un an tout le monde était « Charlie », maintenant plus personne n’en a rien à faire. Non, l’Islam n’est pas une religion de paix. Oui, il y a des versets du Coran qui posent problème et des attentats islamistes. Et non, le voile n’est pas une libération des femmes. Ce qui est extrêmement dérangeant, c’est que lorsque vous tenez ces propos, vous êtes directement reliée à l’extrême droite, taxée de racisme, alors que ça n’a rien à voir. Il y a beaucoup d’amalgames, de raccourcis, d’étiquettes posées sur les gens et qui coupent court au débat. Lorsque j’ai commencé à militer il y a dix ans avec Femen, la prostitution était un sujet sur lequel on pouvait encore s’exprimer normalement, même si cela a toujours été une lutte difficile à mener et jamais acquise. Aujourd’hui, en France, des militantes féministes abolitionnistes sont régulièrement violentées en manifestation féministe pour leur positionnement. C’est quand même une grosse évolution. Il y a aussi un certain entrisme du transactivisme que j’observe depuis trois ans dans les débats féministes en France. Et cela va en s’accélérant.
En quoi le transactivisme est-il un problème ? Est-ce un problème en soi, ou un problème lorsqu’il « invisibilise » les luttes féministes ?
Les deux. A un moment, il faut dire stop : les femmes représentent 52 % de la population, alors que les transgenres, c’est infime. En premier lieu, je trouve que ces discours prennent trop de place, jusqu’à invisibiliser les femmes, par exemple via des expressions pour parler de problématiques qui leur sont spécifiques. On ne parle plus de « femmes » mais de « personnes menstruées », ou de « personnes à vulves ». C’est déshumanisant. Il s’agit aussi d’un problème en soi, parce que derrière cela, il y a des millions d’adolescents qui tombent sur des comptes relayant cette idéologie sur les réseaux sociaux. Or à ces âges, on est dans une quête identitaire et, lorsque quelque chose est à la mode, on veut faire partie du groupe. Je l’ai fait aussi. Il n’y a pas de mal à ça, mais quand la mode en question prône une idéologie violente, j’ai peur que l’on soit en train de perdre toute une génération. On ne me fera pas dire qu’être une femme est un sentiment, qu’est femme toute personne qui se sent femme. Ça n’est pas vrai. Si vous changez la définition de ce qu’est une femme, vous changez la définition du féminisme. Et cette lutte ne peut plus exister correctement.

Les hommes qui s’amusent à porter des talons et qui se disent femme parce qu’ils ont du vernis à ongles, pour moi c’est comme un « blackface ».
La transidentité n’existe pas selon vous ?
Si, la transidentité existe. On me dit souvent que je nie l’existence de ces personnes. Pas du tout : je dis simplement que la dysphorie de genre est un trouble psychiatrique. Ça n’est pas une insulte ! Les personnes qui en souffrent disent que c’est une vraie souffrance d’avoir l’impression de ne pas être né dans le bon corps. Toutes ne passent pas par une transition hormonale et chirurgicale, mais beaucoup le font. Or, quand on sollicite une intervention médicale, c’est qu’on estime que l’on a un problème médical à régler. Je ne vois pas le problème à dire que ce serait peut-être bien — avant de passer par ce que j’estime être des mutilations — de voir des psychologues pour questionner l’origine de cette dysphorie de genre. Pourquoi est-ce que des femmes voudraient être des hommes ? Pourquoi des hommes voudraient être des femmes ? Pour moi c’est très clair. Les femmes sont hyper sexualisées dès l’enfance, donc c’est difficile d’être dans un corps de femme. Pour les hommes qui pensent être des femmes, il y a aussi une grosse part d’hyper sexualisation et de fétichisation. D’ailleurs, on voit de plus en plus de parcours de dé-transitions. En France, c’est encore timide. Mais dans le monde anglo-saxon, c’est de plus en plus répandu. Des gens portent plainte contre leurs parents ou des cliniques qui ont opéré sur eux des mutilations irréversibles — comme le fait de couper les seins de femmes ou les pénis des hommes. Donc oui, j’estime que ça tient de la mutilation. Je suis inquiète pour ces personnes.
Dans un tweet, vous faites l’analogie entre la transidentité et les « blackface » : « Si le blackface est raciste, s’habiller avec des jupes et vous appeler femme quand vous êtes un homme est sexiste », écrivez-vous. Que voulez-vous dire ?
Oui, je dis souvent que les hommes qui s’amusent à porter des talons et qui se disent femme parce qu’ils ont du vernis à ongles, pour moi c’est comme un « blackface ». Je comprends tout à fait que des personnes noires se sentent insultées quand elles voient des images de « blackface » sur internet. Etre noir n’est pas un déguisement. J’ai le même sentiment quand je vois des hommes se grimer en « femmes », je me sens caricaturée, ridiculisée. Je n’ai pas choisi d’être une femme, c’est comme ça, on me l’a imposé. C’est une réalité biologique. Toutes les questions féministes sont reliées de près ou de loin au corps des femmes : que ce soit les violences sexuelles, l’excision, la prostitution, les violences gynécologiques, le harcèlement de rue. Le patriarcat s’est construit là-dessus, et je trouve masculiniste de le nier.
Vous êtes aujourd’hui qualifiée de « TERF », notamment après votre soutien aux propos jugés transphobes de J.K. Rowling. Que vous inspire ce terme et diriez-vous qu’il s’agit d’une nouvelle façon de qualifier le féminisme universaliste ?
Toutes les féministes universalistes ne se positionnent pas publiquement sur la question du transactivisme, même si elles n’en pensent pas moins. Ce terme, c’est surtout une nouvelle façon de qualifier les sorcières. Je me souviens d’un collage parisien qui m’avait beaucoup choqué : « les TERF au bûcher ». C’est une chasse aux sorcières.

Il y a une sorte de basculement de ce qu’on appelle le féminisme en France vers une forme de totalitarisme.
Considérez-vous que la liberté d’expression recule en France ?
Oui, elle recule vraiment. Il y a beaucoup de censure, et cela dépasse les réseaux sociaux : le harcèlement, la cancel culture font très bien leur travail et sont des méthodes très efficaces. Nous sommes très peu à nous exprimer sur le transactivisme, parce que beaucoup de femmes reculent devant cette forme de terrorisme. Cela produit des effets sur la liberté d’expression. Souvent, on n’arrive pas à faire la distinction entre les personnes et les dogmes. C’est interdit par la loi d’appeler à la haine et à la violence contre des personnes. C’est quelque chose que je ne ferai jamais. Je respecte les musulmans et les personnes transgenres. Mais critiquer une idéologie, un dogme religieux ou politique, en l’occurrence l’Islam ou le transactivisme, est permis par la loi en France. C’est l’essence même de la loi de 1905 sur la laïcité. L’Etat ne reconnaît aucune religion, aucun dogme religieux. Au Royaume-Uni, Maya Forstater qui a perdu son emploi pour avoir rappelé qu’être une femme est une réalité biologique sur son compte Twitter, a récemment gagné son procès en appel. Le tribunal ayant estimé qu’elle avait le droit de critiquer « une croyance ».
Que pensez-vous de la disparition progressive des Femen du champ médiatique : pensez-vous qu’aujourd’hui, ce type de féminisme ne passerait plus ?
Si, je pense que c’est encore faisable. Femen a été créé en Ukraine en 2008, et s’est réellement exporté en France à partir de 2012. Au début, cela a été un choc en France. C’était l’effet de surprise, on n’était pas habitués à ces images. Au-delà des problématiques que l’on touchait, c’était le mode d’expression qui était choquant. Maintenant, les gens se sont habitués à ce mode d’action seins nus, c’est peut-être pour cela que ça ne marche plus aussi bien. C’est peut-être aussi une question de personnes et de contexte car Femen ne dispose plus de QG. Si ça a marché si fort, c’est aussi parce que nous étions un petit noyau de six ou sept activistes. Nous vivions ensemble, passions nos journées ensemble à faire de la veille médiatique et à préparer des actions. Mais c’est possible que ça revienne.

Si on ne nous donne plus l’occasion de démonter par l’argumentation des propos avec lesquels nous ne sommes pas d’accord, la démocratie ne peut plus vivre.
Lorsque vous étiez dans Femen, le harcèlement venait, dites-vous, de « l’extrême droite et des islamistes ». Aujourd’hui, le harcèlement viendrait de votre « propre camp ». Diriez-vous que l’intolérance a changé de camp ?
Pour moi, il y a une sorte de basculement de ce qu’on appelle le féminisme en France vers une forme de totalitarisme. La majorité des féministes visibles sont dites intersectionnelles ou queer. Pour moi ça n’est pas du féminisme, mais du masculinisme et de la misogynie. Avant, les personnes qui se positionnaient vraiment contre les droits des femmes le faisaient ouvertement. Désormais ces personnes se nomment elles mêmes féministes. On en revient à la question du langage et des mots. Tout ceci me fait vraiment penser à la novlangue de George Orwell. A partir du moment où on interdit l’utilisation de certains mots, on invente des termes très compliqués, on change des définitions, c’est une forme de totalitarisme et c’est ce qui se passe à l’intérieur du féminisme actuellement. C’est très difficile à combattre.
Vous vous dites « canceled »…
Cette forme d’ostracisation que je vis depuis deux ans, c’est de la cancel culture. Récemment, c’est la publication fin octobre d’un livre intitulé Notre Colère sur vos murs (éditions Denoël) qui m’a fait disjoncter. Je suis brièvement citée comme celle qui a publié des tweets transphobes. Et la quatrième de couverture du livre insinue que les collages ont été créés par un collectif. C’est très flou. Même si je trouve très bien que ma création se soit propagée — c’est moi qui ai créé ce mouvement. C’est très douloureux d’être effacée juste parce que les gens ne sont pas d’accord avec vous. Les collages, c’était une création très intime pour moi. Pendant six mois j’ai collé toute seule dans les rues de Marseille, et pendant six mois ça n’intéressait personne. Comme toujours dans l’histoire : les femmes qui ont créé des choses sont dépossédées de leur création. Aujourd’hui, ça va plus loin que des story sur Instagram : c’est dans un livre qui va rester dans des bibliothèques.
Lorsqu’il est question de Roman Polanski et du boycott de ses films, est-il aussi question de cancel culture ?
C’est différent. Lui, c’est un criminel. Bertrand Cantat aussi : il a assassiné Marie Trintignant et sa femme Krisztina Rady s’est suicidée. On a quand même le droit de dire que nous féministes, cela nous fait mal au coeur de voir qu’un homme est en liberté alors qu’il tue ou viole des femmes en toute impunité. Nous les femmes, nous savons ce qui se passe lorsque nous allons dans les commissariats déposer plainte pour des faits de violences sexuelles. Moins de 1 % des violeurs sont en réalité condamnés. On vit dans une société patriarcale où les crimes et les délits des hommes ne sont pas encore punis correctement par la loi. En tant que militantes féministes, il est normal que nous manifestions contre cela. Ça n’est pas de la cancel culture.
Sur Twitter, un commentaire revient souvent sous vos publications : « la cancel culture, ça vient de vous les féministes ». Qu’en pensez-vous ?
Je ne comprends pas. Je suis contre l’idée de « cancel » des gens. Je ne suis pas du tout d’accord avec les femmes du collectif féministe d’extrême droite « Nemesis », sauf sur quelques points comme la prostitution ou le transactivisme (je ne pense pas pour les mêmes raisons). Mais je suis pour qu’il y ait un débat avec ces femmes. Je suis farouchement opposée à l’extrême droite mais je suis pour débattre contre elle. Si on ne nous donne plus l’occasion de démonter par l’argumentation, le raisonnement, des propos avec lesquels nous ne sommes pas d’accord, la démocratie ne peut plus vivre. En France, la liberté d’expression a un cadre clairement posé. Et si des propos relèvent de l’appel à la haine, du racisme, on peut déposer plainte et certaines personnes comme Eric Zemmour seront condamnées.
Vous pensez que le fait que l’on ne s’écoute pas assez, c’est ce qui fait aujourd’hui défaut dans notre société ? Cela veut-il dire qu’il faut entendre ce qu’un Eric Zemmour a à dire sur les femmes ?
Je trouve qu’on l’écoute trop. Mais il représente ce que pense une partie de la population française. Les propos que tient Eric Zemmour — sur les femmes ou sur les personnes d’origine étrangère — provoquent chez moi des réactions épidermiques. Je me sens même blessée. Mais c’est la réalité et il faut la prendre en compte.
Vous échangez même avec des figures d’extrême droite comme Julien Rochedy. N’est-ce pas paradoxal venant de la féministe radicale que vous êtes de vous tourner vers un masculiniste identitaire pour échanger sur ce thème ?
Je n’échange pas avec Julien Rochedy. On s’était déjà écrit il y a très longtemps lorsque j’étais dans Femen. Mais quand bien même j’échangerais, ça ne serait pas paradoxal. Je trouve important de se confronter à des discours sur lesquels je ne suis pas d’accord. Je lis tout : de l’extrême droite aux contenus queers. C’est comme ça que j’apprends. J’ai besoin de savoir ce que disent les personnes avec qui je ne suis pas d’accord et débattre pour m’enrichir et être sûre de ce que je pense. Sinon ma pensée n’a aucune valeur et je n’évolue pas.
Vous vous interrogez beaucoup sur votre rapport aux hommes. Êtes-vous pour un séparatisme radical vis-à-vis des hommes?
Il y a des questions sur lesquelles je sais vraiment ce que je pense. Mais sur le séparatisme, je suis en permanence en réflexion. D’un point de vue pragmatique : ce sont les hommes qui commettent massivement des violences à l’encontre des femmes. Maintenant, si je suis dans cet état actuellement, c’est aussi parce que je subis des violences misogynes de la part de femmes depuis deux ans. Souvent, la misogynie est aussi véhiculée par les femmes. Il y a plusieurs endroits du monde ou l’excision est pratiquée par des mères, des grands-mères ou des tantes. Andrea Dworkin en parle dans son livre Les Femmes de droite (éditions du Remue-ménage) et Valérie Solanas aussi, dans Scum Manifesto (éditions Fayard/Mille et une nuits). D’un côté, je me dis que la meilleure façon de ne plus subir de violences de la part des hommes c’est de ne pas en côtoyer dans un cadre intime et privé. De l’autre, ça me fend le cœur, mais je suis obligée de constater que des femmes commettent des violences misogynes à l’encontre d’autres femmes. Donc la question du séparatisme, je ne sais plus trop ce que j’en pense.
Le #MeToo politique a été lancé il y a quelques semaines par une tribune uniquement signée par des femmes, qu’en pensez-vous ?
C’est toujours bien d’appeler à une libération de la parole, de désigner les agresseurs, et de montrer qu’ils sont dans toutes les classes sociales, y compris en politique. Le fait que ce soit seulement signé par des femmes, je trouve ça bien. Jean-Michel Apathie a été beaucoup mis en avant sur l’affaire Hulot. Ça fait du bien de voir un homme se positionner fermement. Mais si ça avait été une femme, elle n’aurait pas autant été mise en avant. Je trouve important que dans leur propre lutte, les femmes tiennent les rênes du combat, et soient sur le devant de la scène.
Il faut aussi que les hommes participent au combat féministe, mais en soutien. Généralement, je suis pour la mixité : femmes, hommes, cultures, âge, religion. Mais je trouve que la non-mixité, dans certains contextes — la lutte féministe, les espaces de soins pour les femmes —, est au moins pertinente si ce n’est parfois indispensable. D’ailleurs, le transgenrisme pose la question. Il y a des exemples, dans des prisons pour femmes au Royaume-Uni, de violences sexuelles commises par des hommes qui croient ou prétendent être des femmes sur leurs co-détenues.