
Universités, sociologues, personnalités politiques, syndicats, administrations, ils utilisent consciemment le point médian pour l’imposer progressivement dans les usages. Petit panorama de ce à quoi sont désormais confrontés ces Français qui n’en veulent pas.
« Le 9 décembre 2021, Rennes 2 accueillera chercheur·e·s et professionnel·le·s de l’économie sociale et solidaire (ESS) pour une rencontre autour des défis de la crise pandémique. Rencontre avec les organisateur·ice·s, Pascal Glémain et Jennifer Urasadettan, enseignant·e·s-chercheur·e·s en sciences de gestion. » Voici comment l’université Rennes 2 introduit son article daté du 26 novembre 2021 : « Crise pandémique : ‘L’ESS est mieux armée pour répondre aux besoins sociétaux' ». Ce faisant, elle enjambe allègrement toutes les critiques formulées à l’encontre du point médian, profitant de la mansuétude à son encontre de son ministre de tutelle, Frédérique Vidal. Cette université est d’ailleurs loin d’être la seule à utiliser cette typographie qui discrimine sciemment les malvoyants et les dyslexiques.
Sur les 75 universités publiques en France, combien utilisent ou ont utilisé le point médian ces derniers mois ? Nous avons fait un test : sur le moteur de recherche de chaque établissement, nous avons tapé le mot « étudiant.e ». Le résultat est sans appel : elles sont 41 à l’avoir employé à un moment, soit 54 %. Sur le site d’Évry, on trouve par exemple cette page intitulée « Bienvenue aux étudiant.e.s internationaux.ales ». Au passage, on remarquera à cette administration que les étudiants étrangers n’ont certainement pas été formés à cette écriture et qu’on a connu plus inclusif. Sur le site de Toulouse Capitole, on peut trouver la rubrique « Je suis un.e futur.e étudiant.e en première année de Licence ». L’université de Nantes décrit ainsi l’association Mash Up : « c’est l’association par et pour les étudiant.e.s et jeunes diplômé.e.s entreprenant.e.s. », qui s’adresse aux « étudiant.e.s, Professionnel.le.s et Curieux.euses ». Ce ne sont là que quelques exemples d’une liste longue comme le bras.
En janvier 2019, les Échos STAR avaient interrogé Maïlys Derenemesnil, tout fraîchement nommée chargée de mission égalité femmes-hommes et non-discrimination à l’université Paris Nanterre. Elle avait instauré l’utilisation du point médian dans la communication institutionnelle du site. « Aujourd’hui, la généralisation de l’écriture inclusive relève d’une décision politique », avait-elle affirmé, confirmant ainsi qu’il s’agissait bien d’imposer un outil de propagande idéologique. Entre 2017 et 2021, Valérie Legros, vice-présidente de l’université de Limoges et déléguée à l’égalité et à la qualité de vie l’avait imposé, expliquant au journal Le Populaire que, « Si ce point milieu (sic) heurte tant de gens, c’est peut-être qu’il y a mieux », soulignant que « c’est aux personnes qui ont pour métier d’écrire d’inventer de nouvelles formes ». Depuis janvier 2021, la nouvelle présidente Isabelle Klock-Fontanille a demandé l’arrêt de l’utilisation du point médian.
Le point médian : une arme politique
Au-delà des universités, des établissements de renoms comme le Conservatoire national des arts (CNAM) et métiers l’utilisent ad nauseam. On y trouve ainsi des « Maître.sse.s de conférences » ou des « enseignant.e.s associé.e.s ». Le CNAM s’en sert depuis 2016 avec pour un objectif, susciter davantage de candidatures féminines. Pour ce faire, elle a notamment distribué à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes en 2017, le Manuel d’écriture inclusive.
Si le point médian infuse tellement les universités, c’est entre autres lié à une volonté politique. La montée en puissance des écologistes lors des municipales de 2020 a ouvert grand la porte à une communication débridée, faite d’inclusif. Paris, Lyon, Strasbourg, Grenoble l’utilisent officiellement. À Strasbourg, on traite du « quotidien des habitant.es« dans la documentation officielle sur les investissements de la ville. À Grenoble, on défend les « besoins des Grenoblois-es, petit-es et grand-es, sportives-tifs ou amateur-es ». À Paris, on veut « mobiliser les Parisien·nes autour de la sauvegarde de ces oiseaux menacés ». S’il n’est pas possible de mesurer avec exactitude le nombre de villes qui ont recours à cette typographie, rien que les quatre mentionnées plus haut représentent 3,1 millions de Français, qui la subissent de gré ou de force. À un échelon supérieur, le Département progressiste de la Seine Saint-Denis (1,6 million d’habitants) communique également en point médian. Tout comme, à un niveau encore plus élevé, la région l’Occitanie (6 millions d’habitants) qui recense ses « 158 élu.e.s de la Région : la Présidente, les Vice-Présidents et les Conseiller.ère.s régionaux ».
L’utilisation du point médian est également promue au sein de certains partis. La France Insoumise l’utilise fréquemment sur son site, tout comme EELV ou le PCF. Concernant ce dernier, l’utilisation même de la typographie semble hasardeuse, nous y trouvons des termes comme « Député.E » ou « Sénateur.Trice ». Le point médian ne s’arrête pas aux frontières des partis — auquel cas, il s’agirait d’un gadget idéologique assez inoffensif — mais est utilisé jusqu’à l’Assemblée nationale. Les textes proposés par LFI ou le PCF sont généralement signés « député‑e‑s ». On trouve également trace de ce stigmate inclusif dans le corps même des textes comme dans la proposition de résolution de Danièle Obono (LFI) sur la « nécessité d’une bifurcation écologique et solidaire pour aller vers les jours heureux ». La députée l’utilise à trois reprises dans son contenu.
Offres d’emploi, entreprises et point médian
Fatalement, le monde du travail est frappé dans son ensemble. Les syndicats, même les plus généralistes l’ont adopté de façon plus ou moins affirmée. « Face au coronavirus, vous n’êtes pas seul.e.s », peut-on lire en une de la foire aux questions COVID du site de la CFDT. La CGT utilise abondamment le qualificatif de « salarié·e·s », tout comme le syndicat Sud. C’est aussi sur le front de l’emploi que le point médian fait une entrée fracassante. Le site Emploipublic.fr qui recense les offres d’emploi dans les administrations ou entreprises publiques regorge de postes dits « inclusifs ». À Saint-Étienne-du-Rouvray, on recherche un « Directeur.trice général.e adjoint.e des services en charge du Pôle Solidarités et développement durable h/f ». SYCTOM, syndicat d’Île-de-France spécialisé dans le traitement et la valorisation des déchets ménagers recrute un « Directeur.rice général.e adjoint.e Ressources et moyens F/H ». Sur le site, les offres contenant les termes « adjoint.e », « chargé.e » ou encore « assistant.e » sont pléthores, elles se comptent par centaines.
Les emplois dans le privé ne sont pas en reste. Sur le site de Pôle emploi, on peut trouver l’offre d’Ubisoft, qui réussit la prouesse de mélanger anglais (hors titre du jeu) et point médian avec son poste « Directeur.ice technique level design Beyond Good & Evil ». Même des entreprises plus traditionnelles comme Thales ont recours au point de la discorde. Avec plus ou moins d’adresse et de cohérence, vu qu’on y trouve tout aussi bien des offres d’emploi de « controleur.euse de gestion », de « controleur.se de gestion » ou de « contrôleur ». L’entreprise Renault l’utilise dans sa communication. Ainsi on trouve le François Roger, directeur des ressources humaines, de la prévention et protection de l’immobilier et des services généraux de Renault Group déclare sur le site : « Le chemin est encore long avant que l’inclusion ne soit une réalité pour tou.te.s, sans exception. Nous sommes tou.te.s engagé.e.s vers ce but commun et notre progression est constante, avec la conviction sans faille que la diversité nous rend plus forts ». Diversité semble désormais rimer avec écriture inclusive, pour certains dirigeants.
Lutte juridique inefficace à ce jour
En décembre 2020, la majorité municipale de la ville de Périgueux adoptait un règlement intérieur rédigé en langue inclusive. On y lisait notamment la mention des « élu.e.s » ou des « électeur.rice.s » Un ancien élu de la ville — du Parti radical de gauche — avait décidé d’attaquer en justice ce règlement pour illégalité. En juin 2021, la justice avait rejeté le recours, considérant les arguments de l’attaque « non recevables ».
Alors, les législateurs tentent d’endiguer le phénomène. Le 23 mars 2021, des députés LR ont déposé une proposition de loi visant à « interdire et à pénaliser l’usage de l’écriture inclusive dans les administrations publiques et les organismes en charge d’un service public ou bénéficiant de subventions publiques ». La proposition ayant été renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, le 21 septembre, ce même groupe a déposé une proposition similaire, qui a subi le même traitement. Le 23 février 2021, une soixantaine de députés se sont rangés derrière le député François Jolivet (LREM), et sa « proposition de loi portant interdiction de l’usage de l’écriture inclusive pour les personnes morales en charge d’une mission de service public ». Cette fois-ci, elle a été renvoyée(e) à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Bref, abandonnée tout comme les autres propositions allant dans le sens d’une lutte contre l’écriture inclusive.
Face au péril que fait peser cette typographie militante sur l’évolution de l’écriture et son apprentissage, Jean-Michel Blanquer a publié le jeudi 6 mai une circulaire proscrivant le point médian au sein des établissements scolaires. Le ministre de l’Éducation nationale soulignait « la complexité et l’instabilité [de l’écriture inclusive] constituent autant d’obstacles à l’acquisition de la langue comme de la lecture ». Il avait alors été abondamment raillé sur les réseaux sociaux, repaire de ces militants politiques qui se servent de ces outils comme arme de diffusion de leur idéologie.
Au vu de la progression régulière de cette typologie dans notre quotidien, il devient indispensable qu’enfin cessent les délires individualistes de cette élite bourgeoise. Elle entend par caprice faire évoluer au forceps le langage, en sacrifiant au passage les dyslexiques et malvoyants — ou tout simplement, les amoureux de notre langue — prouvant qu’ils n’ont de fait, rien à faire de cette prétendue inclusivité. Dire que l’écriture inclusive (et surtout son point médian) n’est qu’un gadget qui ne concernerait qu’une infime minorité, et ne nuirait qu’à peu de monde, est statistiquement faux et dangereux pour qui la considère un tant soit peu nuisible.
Source : Front populaire, 18 décembre 2021.